En découvrant cette après-midi Le paquebot Tenacity, j’ai évidemment songé à La belle équipe, mais aussi au Mort en fuite, dans l’errance assez triste des deux copains dans la dèche, Albert Préjean et Hubert Prélier là, Jules Berry et Michel Simon ici… (Comme, avec assez d’imbécillité, je ne crains pas le pédantisme, j’ai en plus repéré, au tout début du film, lorsque les deux compères Préjean/Prélier sont au cinéma et rêvent devant des exotismes dénudés, trois ou quatre secondes des Cinq gentlemen maudits, réalisées en 1931 et réintroduites ici sans pudeur excessive).
Oui, donc, c’est La belle équipe sur l’Atlantique et sur les quais, loin de la Marne et du phalanstère démoli par l’éclatement de la bande, le départ de Jacques/Dorat, la mort de Tintin/Aimos, les vacheries de la belle garce Gina/Romance et la bouffée de haine primale qui secoue Charlot/Vanel et Jeannot/Gabin. Sans tout cela, qu’est-ce qui reste au Paquebot Tenacity ? Pas grand chose, à dire le vrai, parce que Bastien/Préjean et Alfred/Prélier ne font pas le poids, pas davantage que Thérèse/Marie Glory, pourtant si charmante Dactylo de Wilhelm Thiele, mais bien davantage divette à petite cervelle que femme fatale.
Il y a de la tristesse, dans Tenacity, mais il n’y a pas le poids lourd des fatalités et du destin ; il n’y a, d’ailleurs, pas de drame, mais simplement du chagrin et de la pluie, ce qui n’est déjà pas si mal. Il est vrai qu’en usant avec beaucoup de talent de l’extrême photogénie des grands ports atlantiques, grues et darses, portiques et filins, Julien Duvivier parvient à faire sentir dans un récit un peu terne, la morosité des vies parcimonieuses, sans grands espoirs : ainsi Thérèse au vieux libertaire Hidoux (Pierre Laurel) qui l’interroge sur ce qu’elle va devenir, aux côtés de Bastien, lorsqu’ils auront quitté Le Havre pour le Nord, dans ce train qui va les emporter : Il fera le camelot sur les marchés, répond-elle. On est loin du Canada et des grandes espérances : pessimisme fondamental de Duvivier.
J’ajoute que l’édition René Château est particulièrement dégueulasse, striée, dotée d’un fréquent bruit de fond et complètement délavée quelquefois. Et le margoulin a le culot de prévenir pompeusement le chaland que bien que rénovés, le son et l’image de ce film très rare de 1946 présentent quelques imperfections dues à l’épreuve du temps. Manque de pot, René, le film est de 1934. On voit la désinvolture des équipes de l’éditeur, à la limite inférieure du foutage de gueule.