Paris populi.
Nombreux défauts et grandes qualités d’un film réalisé par le singulier réalisateur Anatole Litvak qui, Juif ukrainien exilé, s’installa d’abord en Allemagne, puis, chassé par le nazisme, en France, avant de devenir citoyen des États-Unis, de revenir filmer en France, où il est mort, d’ailleurs à Neuilly, en 1974…
Drôle de film en tout cas, avec, ce que je note d’abord, des acteurs à contre-emploi, tout au moins à nos yeux d’aujourd’hui. Qui pourrait songer, par exemple, que Jean Gabin, immuable force tranquille (qui ne peut être abattu ou humilié que par les femmes !) reçoive une dégelée de la part d’André Luguet, bien davantage caractérisé en homme du monde superficiel (Battement de cœur, Le mariage de Chiffon et bien d’autres…).
En 1932, assurément, les personnalités n’étaient pas aussi figées qu’elles l’ont été ensuite… Et si on ne peut pas dire que Marcelle Romée a laissé une trace dans les esprits, malgré sa réelle étrange beauté, c’est pour la simple raison que, quelques mois après le tournage de Cœur de lilas, enfuie d’une clinique psychiatrique, elle se zigouillait en se jetant dans la Seine… Quant à Fréhel, elle engageait là, après ses grands succès de la scène, une intéressante mais trop parcellaire carrière au cinéma (Pépé le Moko, La maison du Maltais) avant de retourner aux drogues et à l’alcool et de mourir misérablement dans un hôtel de passe en 1951.
Rien de bien gai, n’est-ce pas ?
Le film ne l’est pas davantage. Le scénario est assez primaire, prévisible et ennuyeux. Un industriel a été assassiné. On soupçonne très vite un de ses collaborateurs, Darny (Marcel Delaitre) qui a contre lui la plupart des apparences ; et on innocente parallèlement une fille publique, Lilas (Marcelle Romée) qui a un alibi d’apparence solide. L’inspecteur Lucot (André Luguet), qui a flairé l’anguille sous la roche essaye d’établir la vérité. Il s’enfonce dans les bas-fonds, tombe amoureux de Lilas, dont le barbeau, Martousse (Jean Gabin), jaloux et humilié, va passer quelques jours en tôle.
Scénario sans aucune originalité, bien sûr, mais grand talent de Litvak pour mettre en scène des groupes : celui de l’hôtel de passe où vivent Martousse et Lilas et une kyrielle de loques pittoresques, dont La Douleur (Fréhel) et des bals louches des franges de Paris, les fortifs du haut de La Chapelle, sous la houlette auvergnate du couple Charigoul (Pierre Labry et Madeleine Guitty) ; celui de la noce dans l’auberge des bords de Marne où Lucot et Lilas viennent s’abriter.
Dans l’un et l’autre endroit, le récit s’interrompt pour laisser la place aux chansons : La môme caoutchouc par Gabin et Fréhel d’abord, Ne te plains pas que la mariée soit trop belle par Luguet et Fernandel et aux mouvements de caméra habiles, virtuoses même. Ce primat de l’animation des groupes sur les scènes plus intimes est une donnée assez remarquable du film.
Les dernières séquences, la fuite affolée de Lilas vers son destin, avec ses hallucinations, ses souvenirs, ses peurs en surimpression sont un peu niaises. Mais je tiens au plus haut la scène où les deux amants, Lucot et Lilas (celle-ci venant de découvrir que son amant est en fait un policier qui la traque) sont séparés l’un de l’autre par les noceurs qui dansent une farandole effrénée. La souffrance de deux êtres qui s’aiment, ou qui auraient pu s’aimer et qu’une foule déchaînée empêche de se rejoindre, ça ne vous fait penser à rien ?
Pas même aux images finales des Enfants du paradis où la même foule en folie sépare inéluctablement Garance de Baptiste ? Je ne serais pas vraiment étonné que Carné ait vu Litvak…