Au fond du trou.
Ce mélodrame habile a connu à sa sortie un succès mérité, en partie dû à son titre, à cette idée cocasse que tout corps humain, à sa mort, perd 21 grammes qui pourraient être le poids de l’âme. Fantasmatique à la portée d’un courant sensitif, quelquefois larmoyant, compassionnel et effusionnel de la société occidentale moderne. C’est un peu court mais ça répond à une réelle demande au delà du matérialisme. C’est déjà ça.
En fait la recette est éprouvée et ancienne (ceci n’est pas une critique) de faire se rencontrer par pur ou impur hasard des êtres que rien ne paraissait pouvoir réunir : Cristina (Naomi Watts), ancienne droguée qui affronte difficilement son sevrage grâce à un mari aimant et deux jolies petites filles ; Paul (Sean Penn), mathématicien acariâtre et mal marié à Mary (Charlotte Gainsbourg), qui va bientôt mourir s’il ne bénéficie pas d’une transplantation cardiaque ; Jack (Benicio del Toro), ancien taulard converti en prison et désormais adepte d’une secte évangéliste rigoriste.
L’habileté du scénario est de faire se croiser ces trois destins si différents, de les imbriquer les uns dans les autres d’une façon inextricable et cela sans que les développements tortueux du récit puissent permettre au spectateur de se livrer aux délices du manichéisme. Comme chez Jean Renoir, tout le monde a ses raisons, en tout cas tout le monde a sa propre route et sa propre logique. Tous sont héros, tous sont victimes, tous sont coupables. Ceci est bien fait et, naturellement, complètement artificiel. Mais assez prenant.
Est tout autant artificielle et tout autant habile la façon dont le réalisateur, Alejandro González Inárritu) mélange ce mélange au gré de brèves séquences chronologiquement éparses, sans continuité dramatique mais pourtant si bien conçues qu’on ne se perd jamais dans leurs réelles complexités. Le film avance en louvoyant de façon si intelligente que les ellipses et les retours en arrière ne décontenancent pas mais enrichissent le regard. Et la tristesse des vies gâchées est parfaitement rendue par une lumière assez pâle, malade, blafarde. Une lumière qui n’épargne pas le visage et le corps des acteurs, jamais triomphants ou illuminés mais ternis, fatigués, sans espérance. Les peaux sont grasses et les cheveux sont ternes, sales, même.
Y compris ceux de Naomi Watts, dont le talent avait déjà éclaté dans le sublime Mulholland drive de David Lynch et qui là, en mère fragile, désespérée, mortifère trouve sûrement un de ses plus beaux rôles. Et ses deux compagnons de misère, Sean Penn et Benicio del Toro la rejoignent dans la qualité d’interprétation.
Qu’est-ce qui fait alors que l’on ne puisse marcher complètement ? Peut-être précisément la sophistication extrême du filmage, cette marqueterie trop brillante pour être parfaitement honnête, cette impression de se retrouver devant l’exercice de style d’un candidat à l‘Oscar doué qui entend montrer toutes les facettes de ce qu’il a appris de mieux. Et qu’à force d’appuyer sur la noirceur des existences, Alejandro González Inárritu fatigue un peu.