Chaudron amer.
Dix ans après qu’est ce qui reste de 8 femmes, qui a connu un grand succès, qui a ouvert des controverses, que j’avais beaucoup aimé à l’époque et que j’aime plutôt moins aujourd’hui ? Qu’est-ce qui reste de cet habile rassemblement de huit actrices, d’une théâtralité éprouvée, aux images colorées, aux rebondissements invraisemblables ?
Puis plus rien. En tout cas rien qui accroche. En ce moment passe et repasse sur les multiples diffusions de Canal+ et de ses annexes Potiche, qui a eu, je crois, en salle, un certain succès, paraît assez bien fonctionner, grâce à Catherine Deneuve et Fabrice Luchini et qui est l’adaptation d’une pièce de boulevard de Barillet et Grédy.
De la même façon que 8 femmes était une adaptation de Robert Thomas ; c’est peut-être là un truc qui fonctionne, et Ozon devrait aller revisiter les comédies des années 50 et 60, Boeing-Boeing ou Noix de coco, qui ont fait l’objet de films souvent affligeants. Je ne plaisante qu’à demi : après tout les recettes éprouvées donnent de la cuisine consommable.
Mais il me semble qu’il y avait un peu plus d’ambition narquoise, à un degré supérieur, dans 8 femmes, avec une distance bienvenue : puisqu’on filme une pièce du théâtre le plus ringard, le plus prévisible, le plus appuyé, le plus empli d’audaces sociétales qui devaient faire frissonner le spectateur de 1958, date où fut créée la pièce (homosexualité féminine, inceste), le plus caricatural qui se puisse, autant y aller jusqu’au bout !
Il y a tout de même de drôles de crapauds dans le chaudron de la sorcière, dit quelque part l’excellent Léon Daudet ; les crapauds femelles de 8 femmes représentent une telle collection de haines recuites, d’hypocrisies mauvaises, de frustrations lourdes, de manigances rancies qu’on se lasse du film avant d’en avoir atteint la moitié ; la révélation finale ainsi que la sorte de ballet dansé par les quatre couples féminins avant qu’ils se présentent alignés sur le devant de la scène, comme au théâtre, confinent même au peu supportable.
Le film a fait une partie de sa notoriété sur l’insertion de chansons, qui arrivent sans queue ni tête, mais avec une bien plus grande pertinence que dans le médiocrissime On connaît la chanson du médiocrissime Alain Resnais ; toutes ne sont pas idéalement chantées, ou idéalement choisies ; il me coûte beaucoup de devoir avouer que ma chère, si chère Danielle Darrieux est assez ridicule, malgré sa belle voix juste ; mais aussi, quelle idée idiote a eue Ozon de faire intervenir le beau texte grave d’Aragon, Il n’y a pas d’amour heureux dans un film qui aurait dû rester dans le registre de la comédie de mœurs, même s’il se termine par un suicide !
J’ai à nouveau apprécié les prestations vocales et la mise en situation de Mmes Isabelle Huppert, Fanny Ardant, Emmanuelle Béart ; davantage encore celle de Ludivine Sagnier (scène irrésistible où elle est entourée de Catherine Deneuve et de Virginie Ledoyen swingueuses).
Mais bon ; au fur et à mesure qu’elle avance, la machine s’embourbe.