Cléopâtre

Bien des sous pour pas grand chose…

Voilà l’exemple même d’un ratage majuscule, démesuré, d’une mégalomanie hollywoodienne qui ne songe qu’à entasser dollars sur dollars pour donner, dans la munificence des costumes et des décors, finalement une assez pauvre représentation de ce qu’a pu être l’Empire romain… Ces dépassements fous de budgets (de 2, on est passé à 40 millions de dollars), cette grandiloquence creuse, cette absence totale de subtilité et d’intelligence historique laisse pantois, d’autant qu’elle est signée par un Joseph L. Mankiewicz davantage réputé pour sa finesse, son ironie, son esprit que pour sa capacité à manier des foules de figurants… Je sais bien que les réalisateurs étasuniens ont l’étrange talent de passer du Magicien d’Oz à Autant en emporte le vent (Victor Fleming), mais là, le grand écart est vraiment sidérant : on ne reconnaît jamais l’intelligence du metteur en scène de la délicieuse Aventure de Mme Muir dans cette espèce de salmigondis indigeste et interminable où l’on s’amuserait presque à compter le nombre de robes différentes portées par Mlle Élizabeth Taylor si l’on n’était réveillé de tant à autre par une scène d’une certaine grandeur plastique (l’entrée de Cléopâtre à Rome, sur ce char tiré par des milliers d’esclaves nubiens ou la bataille décisive d’Actium).

ouHmaCOy3HH2AiegmjZS9tYWYpUCléopâtre n’est pas un grand film malade, comme l’écrivait François Truffaut à propos de je ne sais plus quelle œuvre (Marnie du surévalué Hitchcock, me souffle-t-on) : c’est le cadavre d’un certain cinéma, boursoufflé et emphatique, dont, par ses excès et outrances il a d’ailleurs sonné le glas… avant qu’avec le numérique et les multiplexes il ne renaisse de ses cendres avec les Avatar et Gravity pour publics décérébrés. Le tournage de Cléopâtre fut un naufrage financier et, paraît-il, un cauchemar permanent pour tous ses protagonistes, une guigne érigée à l’état endémique. Bavard – sans que pourtant le moindre éclat d’un dialogue puisse être remémoré -, sans rythme et sans esprit, c’est un film uniquement composé de scènes à faire où la variété des décors et des costumes apparaît comme la seule justification du tournage.

On a peine, en effet, à imaginer ce que les spectateurs de 1963, pourtant plus frottés d’histoire romaine et d’Histoire tout court que ne le sont ceux d’aujourd’hui, ont pu comprendre à ces languissantes séquences où ne sont que médiocrement exposées les grandeurs fulgurantes de la Rome antique et tout ce que son imperium a pu apporter à la Civilisation. César (excellent Rex Harrison) n’est représenté que comme un ambitieux à sale mentalité, Octave/Auguste (Roddy McDowall) comme un valétudinaire trouillard, Antoine (Richard Burton) comme un soudard alcoolique, voluptueux et borné… Pas le moindre aperçu sur le génie de Rome…

En fait, le film n’a d’autre objectif que de montrer la beauté du visage, du sourire, du corps, du décolleté, des robes, des coiffures, des sandales et de tout ce qui touche Élizabeth Taylor ; sans elle, qui fut et demeure peut-être un mythe, une des grandes stars du cinéma du siècle passé que serait Cléopâtre ? J’allais écrire qu’on repasserait peut-être une ou deux séquences du film au Journal télévisé dès qu’elle mourrait lorsque, saisi d’un scrupule, je suis allé consulter sa fiche sur Wikipédia où j’ai constaté qu’elle avait disparu en 2011… Le temps est impitoyable…

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