Curieux film, qui fut un succès formidable et montra qu’on n’enterre pas si facilement que ça le cinéma britannique, qui fut si vivace et si original, qui est sans doute un peu écrasé par sa proximité – au moins langagière – avec le cinéma étasunien mais qui conserve un caractère et une pertinence qui font plaisir à voir. Vingt ans que Quatre mariages et un enterrement est sorti sur les écrans, mais il conserve sa force comique et sa force émotive alors même que son réalisateur, Mike Newell, qui marqua là son unique coup d’éclat, s’est depuis lors englouti dans les films de série (Harry Potter et la coupe de feu), inspirées même d’un jeu vidéo (Prince of Persia).
Curieux film, donc, qui commence par une demi-heure étincelante, pétillante, éblouissante (la cavalcade drôlatique du premier des quatre mariages), se poursuit de façon plus grave, frôle avec légèreté le tragique (la mort brutale du flamboyant homosexuel Gareth/Simon Callow et le tendre et bel hommage que lui rend son compagnon Matthew/John Hannah), rebondit sur le romanesque autant que burlesque évitement de l’union du héros, Charles/Hugh Grant avec l’ennuyeuse Henrietta Face de cane (ou d’oie, selon les versions)/Anna Chancellor et s’achève dans la bonne humeur et un happy end tout à fait charmant. Ce salmigondis fait naturellement penser à cette gloire de la cuisine anglaise qui s’appelle le pudding (dont, je le rappelle, la recette traditionnelle prévoit qu’il soit confectionné avec de la graisse de rognon de porc). Et c’est donc un peu la faiblesse du film.
Tout ce qui est du registre de la comédie, qui se passe dans le milieu assez friqué de la bonne société britannique est excellent. Ces insulaires bizarres qui persistent à vouloir rouler à la gauche de la route (et, jusqu’à une date récente, je crois, à compter en pieds et en pouces), qui ont eu la prudence élémentaire de se méfier de l’affreux Euro, qui ont fait l’économie de notre sanglante Révolution française et ont su défendre, les seuls au monde, la civilisation contre la Barbarie entre 40 et 41, ces gens singuliers nous donnent toujours une impression d’étrangeté et d’exotisme, d’autant plus forte qu’ils nous sont terriblement proches. (D’ailleurs notre amour/haine n’est pas près de s’éteindre, vu le nombre de jeunes Français qui vont chercher de l’exotisme à Londres et le nombre de vieux Anglais qui viennent chercher le soleil dans le Périgord). Disons tout de même que les séquences qui mettent en valeur le sinistre Rowan Atkinson (le sinistre et ridicule Mr. Bean) nous rapprochent encore : nous aussi nous avons eu des grotesques, muets, comme Pierre Etaix ou bafouilleurs, comme Pierre Repp. Passons.
Le reste est de moindre intérêt. Carrie (Andie MacDowell) a un sourire absolument craquant mais ne parvient pas, pendant tout le film à arborer une robe simplement convenable ; en revanche Fiona (Kristin Scott Thomas) est d’une élégance naturelle évidente si absolue qu’on se demande pourquoi ce benêt de Charles (Hugh Grant) ne comprend pas que c’est elle qu’il doit épouser. Il y a aussi le lot d’excentriques délicieux dont on sait Albion largement dotée, pour notre plus grand bonheur et notre plus grande incompréhension.
C’est donc un film très honorable, qui a l’habituel défaut d’être un peu long pour la relative minceur de son sujet. Mais enfin la vieille Europe ne se défend pas encore trop mal.