Lorsque ça vous est proposé en solde pour presque rien sur le site de la FNAC, comment ne pas s’intéresser à quelque chose d’aussi singulier et au titre si ample que Volga en flammes ? Imaginez, tiré d’une histoire de Pouchkine (La fille du capitaine), un film qui transpose dans les dernières années du 19ème siècle la révolte de Pougatchev contre Catherine II, intervenue en 1773-1774 ; ajoutez que c’est filmé en 1934 par Viktor Tourjansky, Russe émigré en France pour fuir la révolution communiste ; que 1934, c’est la période où Staline a définitivement gagné la partie, Zinoviev et Kamenev éliminés, Trotsky exilé, la NEP abolie, la collectivisation des terres achevée ; on reprend son souffle, si je puis dire, avant les Grandes Purges de 36-38.
Donc un film tourné par un Russe blanc, au moment où le rideau s’est baissé à l’Est, un film tourné en France, mais plein de nostalgie pour la vieille Russie ; la première scène où les jeunes gens qui viennent d’être promus officiers prêtent serment au Tsar fait, avec des moyens bien moindres, évidemment songer à la même séquence d’enthousiasme dans Le barbier de Sibérie de Nikita Mikhalkov (1998), d’autant qu’y retentit le même thème musical, l’hymne national de Glinka.
Viktor Tourjansky, sans reproduire les extravagances formelles (quelquefois talentueuses) du Muet, connaît son métier et maîtrise avec beaucoup de talent la grammaire cinématographique des débuts du Parlant : beaux angles décentrés, plongées et contre-plongées souvent fortes, panoramiques amples. Il y a même quelques scènes qui font songer au Eisenstein de Ivan le Terrible. L’histoire est intéressante et bien rythmée de cette révolte cosaque et paysanne conduite par un Illuminé qui se fait appeler « Le Tsar des pauvres », nouée avec élégance avec des intrigues sentimentales qui ne sont pas fades. Remarque adjacente : moi qui, quelle qu’en soit la durée effective, trouve toujours les films trop longs d’un quart d’heure, j’ai l’impression que le réalisateur a dû un peu bâcler la fin de Volga en flammes (pourtant œuvre courte : 78 minutes) : tout, à la fin, paraît se précipiter et les événements tragiques laissent trop rapidement place au dénouement heureux.
Les acteurs sont convenables, sans plus. Je n’ai pas une dilection forcenée pour Albert Préjean, qui a pu représenter un type de jeune et sympathique prolo au grand cœur et au coup de poing facile mais qui, en loyal lieutenant du Tsar et en séduisant jeune premier de garnison, manque un peu de vraisemblance ; je ne dissimule pas que ma chère Danielle Darrieux (qui aura en mai prochain 98 ans !) est un peu insignifiante en amoureuse primesautière et que son visage est encore très mièvre (elle n’a que 17 ans et Volga en flammes est déjà son septième film !). Comme je n’ai jamais pu supporter l’allure de bellâtre de Raymond Rouleau (sa fatuité dans Falbalas confine à l’apothéose !), je suis ravi qu’il interprète le sale traître heureusement abattu en conclusion. Excellent Valery Inkijinoff qui interprète le chef de la révolte avec nuance et talent, démesuré, cruel, courageux, loyal, sceptique…
Mais la grande qualité de Volga en flammes, c’est, alors que le film a évidemment été tourné en France, l’évocation de la Russie telle qu’elle est dans notre imaginaire : troïka, samovar, longues pelisses fourrées, vodka qu’on boit comme de l’eau, tempête de neige qui égare les voyageurs (la bourane) et puis – un des charmes du film – les chansons traditionnelles qui entrecoupent le récit et qui sont si belles et si mélodieuses.
Bref (si j’ose écrire), un très intéressant film, désuet mais plein de qualités, d’autant qu’il est présenté dans une édition très convenable, malgré son âge, image et son restaurés. Bravo aux éditions Lobster !