Bafouillant et chichiteux.
On se demande si on n’a pas abusivement placé sous l’étiquette de Nouvelle vague des films aussi différents que Les cousins, Les Quatre cents coups et À bout de souffle.. Le film de Claude Chabrol est sorti sur les écrans parisiens en mars 1959, celui de François Truffaut en juin, celui de Jean-Luc Godard l’année suivante, le 16 mars. Et l’acte officiel de naissance de cette Vague, c’est d’ailleurs plutôt Le beau Serge, de Chabrol déjà. De fait, si l’on peut trouver à tous ces films un air de famille dans la libre façon de filmer, d’ailleurs plus provocante, plus exagérée chez Godard, il y a peu de parentés entre des chroniques conduites de façon assez traditionnelle et À bout de souffle.
Godard fait exploser la structure du récit, bouleverse le rapport des personnages aux spectateurs et filme par le procédé bien connu du collage, qui permet d’ajuster des bouts de n’importe quoi au fil des séquences en prétendant reconstituer ainsi le tohu-bohu de la vie. C’est un fait, et on ne peut pas ne pas ne pas reconnaître l’évidence que la vie réelle – la nôtre, finalement – est tissée de phrases hachées rendues incompréhensibles par un coup de klaxon ou le passage d’un camion, par le passage dans le champ de vision d’un personnage qu’on suit des yeux un bref instant puis qui sort de la scène, par des conversations téléphoniques minimales et parcellaires, par l’indifférence globale de la foule à ce qui nous arrive, hors les moments où elle focalise son attention sur l’événement un instant fédérateur, l’accident, le meurtre, l’incongruité spectaculaire, avant de s’éparpiller à nouveau.
Mais ceci – la tentative de décrire vraiment la réalité et qui fut, littérairement, l’impasse du Nouveau roman (après tout, la trame policière est souvent choisie dans l’une et l’autre tentative) – ceci méconnaît le fait que la littérature, comme le cinéma (les autres arts non plus, d’ailleurs : pour écrire la Symphonie pastorale, on n’enregistre pas le gazouillis des rossignols) ne sont pas faits de ces instantanés, authentiques sans doute, mais qui n’ont rien à voir avec la réalité artistique, recréation artificielle et pourtant davantage vraie de notre vie.
À bout de souffle souffre de tous les tics insupportables des films militants : ici, c’est l’usage systématique du son direct, l’abondance des aphorismes et proclamations définitives des personnages (Je voulais te revoir pour savoir si te revoir me fait plaisir), des insupportables récurrents questionnements de l’idiote de service (Jean Seberg, bien mignonne, soit dit en passant) C’est quoi (tel ou tel mot) ?.
Que mettre à son crédit ? Une musique jazzy bien venue, la beauté de Paris l’été, l’intervention incongrue de Jean-Pierre Melville ; c’est à peu près tout.
Mais ça n’a pas empêché les obsédés de la nouveauté de se tortiller le croupion. Quand on pense que, dans le même espace de temps (59/61), dans ces années 59-61, il y a eu Plein soleil de René Clément, Marie-Octobre de Duvivier, Le trou de Becker, Les yeux sans visage de Franju, Léon Morin, prêtre de Melville… pour ne parler que du cinéma français !!