Ma foi, voilà un film dont l’aura est si grande que tout amateur de cinéma se doit un peu de l’avoir regardé, comme tout amateur de peinture a une sorte d’obligation de venir au musée du Louvre contempler le sourire béat et agaçant de la Joconde. Ça fait partie des exercices imposés ou, en termes musicaux, de l’apprentissage du solfège, passage nécessaire pour aller plus loin ou plus haut.
En d’autres termes, on n’est pas forcé de trouver ça merveilleux ; c’est seulement une date, un jalon dans l’histoire du cinéma, une œuvre qui, grâce à une conjonction de facteurs hétéroclites existe beaucoup plus pour sa sonorité dans l’inconscient collectif que pour ses mérites intrinsèques. Ici c’est le début d’une collaboration mythique entre Josef von Sternberg et Marlene Dietrich qu’on est censé saluer bien bas.
Le malheur – tout relatif et rattrapable – est que je n’ai vu aucun des supposés chefs-d’œuvre tournés par ce binôme, Shangaï express, Blonde Venus ou L’impératrice rouge et que je ne suis donc que très peu à même d’affirmer avec fougue que L’ange bleu permet de discerner déjà le miracle osmotique qui réunira un peu plus tard le réalisateur et l’actrice. Je suis donc bien obligé de demeurer, dans mon point de vue, sur l’impression d’une bluette mélodramatique très théâtrale, jouée avec les tics du muet encore tout proche et sauvée par les cuisses de Marlene Dietrich.
Sans doute toute la partie sur l’abjection consentie par le professeur Rath est-elle assez forte et assez poignant le passage du Herr Professor, détesté par ses élèves mais placé socialement dans un rang respectable au cercle grotesque de la troupe interlope réunie par Kiepert, le magicien (Kurt Gerron). Mais les instantanés pris par Sternberg laissent tout de même apparaitre des trous, des facilités de scénario et certaines séquences sont de la pure pantomime, notamment celles où Lola/Dietrich, jusqu’alors assez bonne fille, est séduite par le fier-à-bras Mazeppa (Hans Albers).
A-t-on remarqué combien, dans L’ange bleu, tout le monde est hideux, les filles de la troupe de beuglant ramassant le pompon de la laideur ? Tout le monde, sauf, naturellement Lola.
Marlene Dietrich, c’était une autre histoire…