Le chant de Bernadette

Affiche Le_chant_de_BernadetteHistoire sainte.

Me méfiant comme de la peste de la religiosité étasunienne, trop souvent empreinte d’évangélisme et de littéralisme, je n’aurais certainement jamais regardé Le chant de Bernadette, dont j’ignorais jusqu’à l’existence, si d’éminentes plumes (par ailleurs mécréantes proclamées, mais les voies de Dieu sont impénétrables !) ne m’avaient donné du film d’Henry King, cinéaste inconnu à mon bataillon, les plus élogieuses appréciations.

 

Eh bien je vous remercie, mes camarades, de m’avoir permis de découvrir un beau film, sans doute moins intense et moins pur que le lumineux et indépassable Thérèse d’Alain Cavalier mais profond, grave, intelligent. C’est que la tâche n’est pas aisée d’évoquer sans caricature le mystère de Lourdes et plus largement l’intervention du miracle dans la contingence du monde. C’est-à-dire sans faire appel au merveilleux et au fantasmagorique et en donnant toute leur place aux contradictions, interrogations, suspicions qui accompagnent légitimement un pareil phénomène.bernadetteL’Église, à juste titre, est très circonspecte sur les apparitions mariales : depuis l’an Mil, plus de 20 000 ont été signalées, 16 seulement ont été reconnues et il est prudemment rappelé que la croyance en leur réalité ne fait pas partie des dogmes de la foi catholique. Même circonspection pour les miracles de Lourdes : depuis 1858, des dizaines de millions de visiteurs, 7000 dossiers introduits, seulement 69 guérisons reconnues inexplicables aux yeux de l’état actuel de la science. Tout cela est absolument évident pour qui s’intéresse un peu au sujet : ce n’est pas le miracle qui fait surgir la Foi, mais la Foi qui permet le miracle. Et d’ailleurs, selon les Évangiles, le Christ n’en n’a pas fait des quantités !

Le film d’Henry King, adapté d’un roman de Franz Werfel, juif autrichien qui fut tout proche de la conversion au catholicisme, prend, semble-t-il, quelques libertés avec l’histoire réelle. Ainsi, au lieu d’être les braves et simples gens représentés, le père et la mère de Bernadette avaient-ils plutôt mauvaise réputation ; ainsi le personnage du jeune Antoine, avec qui une inclinaison muette et chaste est prêtée est-il inventé. Mais ces écarts romanesques sont plutôt véniels, compte tenu de l’intelligence du récit.le-chant-de-bernadette_58624_9411Car ce qui apparaît d’emblée, devant la situation, c’est l’inquiétude des autorités civiles et religieuses, leur anxiété devant les débordements possibles, la crainte des hallucinations, de ‘’l’hystérisation’’ des apparitions, des mystifications toujours possibles. Il faudra bien des interrogations, là encore tout à fait légitimes, pour que l’accès à la grotte soit autorisé et pour que l’épiscopat admette que quelque chose s’est passé.

Henry King filme cela avec rythme et talent et si, méthodiste converti au catholicisme, il se range clairement dans le camp des fidèles, il laisse néanmoins largement la parole aux sceptiques et aux interprétations positivistes. Je regrette qu’il ait cru devoir montrer, sous les traits de Linda Darnell, la physionomie céleste de la Vierge Marie et il me semble que le film aurait eu davantage de force suggestive s’il s’était privé d’une représentation matérielle. En revanche, on ne peut qu’être absolument admiratif devant le jeu de Jennifer Jones, lumineuse Bernadette qui parvient à rendre de façon très convaincante son interprétation d’une très jeune fille (14 ans lors des apparitions), souffreteuse, pratiquement inculte, mais toute empreinte de sérénité, d’humilité et de confiance.chant-bernadette-the-song-of-bernadette-henry-L-6vE65kDe fait et alors qu’on aurait pu craindre que l’entrée de Bernadette au monastère de Nevers et ses dernières années de vie terrestre marquent une rupture d’intérêt, et malgré l’apparition finale de la Vierge, bien trop sulpicienne pour être convaincante, la fin du film est grave et belle, paisible et émouvante.

Et laisse la porte ouverte à tous, comme au Procureur Dufour (Vincent Price), atteint d’un cancer à la gorge, qui s’interroge devant la grotte. Pour les croyants, aucune explication n’est nécessaire, pour les autres aucune explication n’est possible

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