Revu dans une excellente édition combinée DVD/Blu-ray, Garçon ! tient beaucoup mieux la route que je ne le pensais et, marquant certes la fin de la veine chorale de Claude Sautet, n’est pas loin de porter à sa plus grande profondeur toute l’amertume du réalisateur.
Comme dans Vincent, François, Paul… et les autres, Montand est enfermé dans une solitude bruyante de faux-semblants et de fausses lumières. Des copains – qu’on appelle des amis – des coups bus ensemble, de la gaieté de façade, une vie sentimentale qui est un ravage. Et le futur désastre programmé de l’âge qui vient. Alex/Montand, funambule de talent, qui a séduit beaucoup de femmes et a fasciné beaucoup d’hommes, n’a jamais vraiment aimé personne, ne s’est jamais soucié de quiconque, a vécu dans l’artifice et, d’une certaine façon, dans l’imposture. Dans Garçon !, le piège est en train de se refermer autour de lui et, s’il essaye de se débattre, se resserre encore davantage. C’est ce que lui dit son pote Gilbert (Jacques Villeret, remarquable), mais c’est trop tard, désormais.
La séquence finale est une des plus poignantes du cinéma de Sautet. C’est la foule des grands jours dans le parc d’attraction balnéaire créé par Alex et, au milieu des ribambelles de gamins hurleurs, dans une effervescence sympathique, il y a les copains de la grande brasserie qui s’activent en donnant un coup de main ; l’après-midi avance ; Coline (Dominique Laffin), la jeune femme qui a quitté Alex au début du film, recueillie par lui quand elle s’est retrouvée à la rue, sans boulot et sans argent, enceinte d’on ne sait qui vient lui dire au revoir et Alex est surpris… – Tu t’en vas déjà ? – Oui, Maurice me ramène à Paris…. Maurice (Pierre-Loup Rajot), c’est un des serveurs de la brasserie : il est jeune, Coline est jeune, Alex est vieux…
Et à la seconde suivante, alors qu’éclate l’orage, Alex aperçoit au bord de l’eau une silhouette, dans quoi il croit reconnaître Claire (Nicole Garcia), qui l’a quitté quelques semaines ou quelques mois plus tôt à la fois parce qu’elle sent qu’il ne pourra jamais rien lui offrir et parce qu’elle est fondamentalement amoureuse d’un homme plus solide, à tout le moins plus généreux, qui vit en Afrique ; mais non, ce n’est pas Claire, c’est une autre femme, une inconnue qui a un mari, un enfant : je ne connais rien qui puisse mieux montrer la solitude sans espoir d’Alex.
Il y a peut-être un peu trop de tout ça dans Garçon !, jusqu’à l’insistance obsessionnelle ; et il se peut aussi qu’il n’y ait pas assez de ce qui apporte au film un superbe brio : les scènes presque documentaires dans cette brasserie qu’on jurerait très parisienne et qui a, en fait, été créée en studio : ballet virevoltant des serveurs, physionomies des clients (jusqu’au couple caricaturalement mis en scène dont on voit l’enjôlement des premiers jours, l’installation dans les habitudes, la lassitude goujate et finalement la dissociation), rythme effréné des cuisines… Et, en supplément délicieux, un numéro extraordinaire de Bernard Fresson, Chef teigneux, ronchon, fort en gueule, injuste, généreux, attachant, odieux… Il y a là quelques scènes qui sont du meilleur Sautet, ainsi que celle où, après un gros gain aux courses Maxime (Nicolas Vogel), le barman de l’établissement, invite ses camarades chez Lasserre, restaurant mythique de l’avenue Franklin Roosevelt, cantine d’André Malraux qui y déjeunait chaque jour.
Éclat superficiel des compagnonnages, juxtaposé à la vieillesse qui vient, comme elle est déjà perçue par Gloria (Rosy Varte), une autre des maîtresses d’Alex, qui n’a plus envie de la voir, sauf quand elle peut lui prêter l’argent nécessaire pour son parc d’attraction… Bric et broc des mille choses de la vie, des cent petits drames et plaisirs de l’existence, film mal fichu mais terriblement attachant.