Pour (re)découvrir le cinéma de David Cronenberg (dont on parle moins, il me semble, depuis une dizaine d’années), j’ai fait, je crois, une assez bonne pioche avec Dead zone, regardé, toutefois dans une copie assez médiocre et pisseuse. En quoi la qualité du film dépend elle de Cronenberg, en quoi de Stephen King, excellent pourvoyeur de sujets horrifiques ? Je ne saurais le dire, par méconnaissance presque complète du premier et bien maigre familiarité du second. Mais, en tout cas, leur juxtaposition produit un film d’une grande efficacité.
Et surtout, ce qui n’est pas fréquent dans ce cinéma de genre, par une grande capacité à décontenancer, à maintenir jusqu’au bout le questionnement et l’interrogation. Trop souvent, en effet, une fois les prémisses posées et les codes d’angoisse définis, enfermés dans leurs limites et leurs cohérences, on voit survenir à cent kilomètres les développements évidents du récit et on subit les logiques à quoi on s’attendait.
Rien de ça dans Dead zone, qui surprend heureusement avec constance et prend à contre pied le spectateur, ainsi charmé par la fraîcheur – si je puis dire – des rebondissements. C’est tourné sans gros moyens mais avec une efficacité redoutable et avec un sens très sûr du cinéma d’angoisse. Tous les amateurs garderont en tête plusieurs séquences assez glaçantes. Notamment le noir tunnel empli de boue glacée où le tueur en série a assassiné une de ses victimes et mêmement le kiosque à musique juché sur une esplanade enneigée où il en a attiré une autre. Et encore l’angoissant décor de sa demeure, qui fait évoquer à la fois les maisons affreuses de Psychose et du Silence des agneaux. Et la préparation méticuleuse de son suicide à l’aide de ciseaux de chirurgie.
Mais ces séquences là, groupées à la moitié du film, sont, finalement, assez isolées et exclusives. Dès qu’elles ont donné leur venin et marqué l’atmosphère de Dead zone, on ne s’y accroche pas et Cronenberg passe à autre chose ou, plutôt, revient au sujet initial ; celui de John Smith (Christopher Walken, étonnant) qui, à la suite d’un terrible accident de voiture et après cinq ans de coma, se réveille doté d’un étrange pouvoir, qu’on pourrait appeler la clairvoyance absolue. C’est-à-dire la faculté, par le simple contact physique avec un autre être, de pouvoir explorer son passé, découvrir son présent, se projeter dans son avenir. Ce qui ne manque pas de le consumer. D’autant que, pendant son coma, Sarah (Brooke Adams), sa fiancée a épousé un autre homme et que l’un et l’autre, demeurés amoureux, sont conscients du gâchis.
C’est un film très noir, profondément pessimiste, malgré sa fin, habile mais sans doute un peu trop délibérément optimiste. On ne s’y ennuie pas une seconde en tout cas.