Sans doute, si j’avais vu au cinéma la bataille des cinq armées, de la même façon que j’ai vu les deux premiers volets de la saga du Hobbit, Un voyage inattendu et La désolation de Smaug, sans doute serais-je resté jusqu’au bout assis dans mon fauteuil. Malgré des réticences exprimées dès le premier épisode et qui tiennent à la vacuité de l’inspiration et au délitement du récit, devant la largeur de l’écran et la puissance des haut-parleurs, sans doute aurais-je été interloqué, abasourdi, hypnotisé, lobotomisé et serais-je sorti de la salle avec ce curieux sentiment de fatigue et d’insatisfaction que donne la vision d’une énorme machine parfaitement bien réglée mais profondément inutile.
Mais, méfiant, j’ai préféré attendre le passage sur Canal+ de la fin finale de l’adaptation et, au bout d’une heure et demie ou deux heures, j’ai éteint mon poste de télévision, me fichant comme de ma première chemise de la façon dont Peter Jackson achèverait son pensum et ennuyé par cette interminable collection d’effets spéciaux irritants pour l’œil et l’oreille qui n’a plus rien de commun avec la structure et l’intelligence des récits du Seigneur des anneaux, leur profondeur et leur intensité.
On l’a dit et redit : vouloir adapter dans le même format les trois tomes du roman majeur de Tolkien et le petit ouvrage amusant qu’il a écrit pour les enfants ne pouvait que conduire à cette impasse. Oh certes, il y a du spectacle ; il n’y a même que ça, au détriment de tout le reste. L’intrigue est au delà de la complication et, par là même, elle est insignifiante et inutile. Tout le monde paraît se contrefoutre des raisons pour quoi les batailles éclatent et les alliances se nouent : on attend les morceaux de bravoure, les combats chorégraphiés et les coups de zoom hystériques, les gros plans sur les trognes des protagonistes et les inventions des décorateurs.
C’est sûrement un peu excessif, mais je ne peux guère comparer ça qu’au cinéma porno : entre les séquences zizi pan-pan (ou ngolo ngolo, si vous préférez) qui sont la raison d’être du film, il faut placer un minimum minimorum d’intrigue, dont tout le monde sait bien la nécessité et l’inutilité tout à la fois. Exercice obligé, accablante évidence.
Au fur et à mesure que Peter Jackson s’éloigne de la force romanesque de Tolkien, son propos s’égare : dialogues insipides, concessions aux pires nouilleries du politiquement correct, distensions et tirages à la ligne. C’est gluant lorsque ce n’est pas bruyant. Sentencieux, vertueux, grandiloquent. Et jamais grandiose.
En tout cas, je suis bien content de n’avoir pas payé ma place.