Je ne rate jamais un film de Jean-Paul Rappeneau. Remarquez que ce n’est pas très difficile puisque, depuis La vie de château en 1966, il n’en a tourné que six et que Belles familles est, alors qu’il a 83 ans, seulement son septième. Je sais qu’il n’est pas de bon goût d’évoquer l’âge d’un réalisateur, mais j’ai eu tant de bonheur avec Les mariés de l’an II, avec Cyrano, avec Le hussard sur le toit que je me crois autorisé à une certaine familiarité critique.
Je sors déçu mais nullement surpris de Belles familles ; déjà il y a douze ans, Bon voyage, plombé par la distribution catastrophique et Isabelle Adjani qui, à 48 ans, voulait jouer la jeune femme ne m’avait pas paru de niveau. Et là ça a encore baissé,
Qu’est-ce qu’il y a de meilleur chez Rappeneau ? Le rythme, la vivacité, l’élégance, la capacité à faire vivre le film autour d’une caméra qui virevolte autour des personnages et les fait entrer dans la sympathie, presque dans l’intimité des spectateurs. Voilà qui était porté à une extrême intensité dans ce qui est peut-être la plus brillante de ses œuvres (adaptations littéraires excepté), c’est-à-dire dans Le sauvage, où chaque séquence était étincelante, trépidante, spirituelle, pleine de sève. Et tout cela sur une trame principale assez simple avec deux grands acteurs au sommet de leur art (Catherine Deneuve et Yves Montand).
Cette maîtrise de l’image, la qualité et la beauté du filmage, tout cela demeure dans Belles familles. Mais autour d’un scénario bête à pleurer, version plus gaie des graves sujets de société vaguement policiers à la Guillaume Canet (par exemple Ne le dis à personne où, d’ailleurs sévit aussi le désormais insupportable André Dussolier) ; j’ai craint à un moment donné de la projection de me retrouver dans un feuilleton de milieu d’après-midi sur TF1 : maison de famille, lourds secrets mal partagés (et de famille tout autant), conflits fraternels, coups de foudre entre êtres fragiles, malfaisance des notables locaux. Il ne manquait guère que Joséphine ange gardien pour, par un claquement de doigts, arranger les choses.
On espère à chaque instant que quelque chose va survenir, c’est-à-dire déglinguer le cours paisible et évident des événements. Lors d’un accident d’auto, on se réjouit un instant de penser que ça va se terminer mal par la mort sèche et imméritée du héros… (au fait, c’est Mathieu Amalric). Mais non, il survit ! Et le film se termine par un happy end gluant de gentillesse où les haines recuites sont oubliées et les amoureux artificiellement séparés se retrouvent.
On ne peut pas, cher Jean-Paul Rappeneau, tourner un film comme vous savez le faire, avec de la fantaisie, de la drôlerie, de la légèreté et le mixer avec une intrigue grisâtre, pleine de sous-entendus sociétaux.
C’est dommage pour les acteurs, pour certains d’entre eux, en tout cas. Karin Viard a l’air d’avoir bu un coup de trop lors de toutes ses apparitions, mais être moins avancée sur la voie de la déchéance alcoolisée que Nicole Garcia, tout à fait pathétique. Marine Vacth n’a pas changé de (gracieuses) fesses depuis Jeune et jolie de François Ozon. Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour la gueule cabossée de Mathieu Amalric mais il s’en sort bien, dans un rôle d’ahuri intelligent. Et Gilles Lellouche est, comme d’habitude, tout à fait excellent.