J’emprunte ce titre, En avant, calme et droit, à un beau roman de François Nourissier situé, tout comme Milady, dans l’austère milieu du Cadre noir de Saumur, conservatoire de l’équitation de haute école, refuge de traditions qui peuvent paraître incongrues, à tout le moins incompréhensibles à l’heure de la modernité galopante et de la mondialisation échevelée.
Autant l’écrire tout de suite pour n’être pas soupçonné de parti-pris : je ne suis, de ma vie, jamais monté sur un cheval (ni même sur un âne !) et, alors que je ne rate pas une minute des compétitions olympiques, les épreuves de dressage me paraissent bien peu attirantes : c’est qu’il s’agit, dans un rituel très codifié de solliciter l’animal par d’infimes et invisibles pressions des talons, des cuisses et des genoux pour lui faire accomplir des exercices singuliers et lui faire adopter des allures artificielles, obtenues au bout d’années de complicité entre le cavalier et sa monture.
Qu’est-ce que Milady, tiré par François Leterrier d’une nouvelle de Paul Morand ? Une histoire d’amour un peu folle entre le commandant Gardefort (Jacques Dufilho), écuyer du Cadre, officier qui a toujours eu la passion des chevaux et certainement aucune autre, et une jument dont il a le premier deviné la grâce et le talent et qui va être toute la joie de sa vie. Jusqu’à ce qu’un revers de fortune le contraigne à vendre Milady à un riche banquier belge qui va la transformer dans le sens du spectacle et du brio ; c’est-à-dire au rebours du corset sévère, janséniste même, qui est la raison d’être de Gardefort : la répétition inlassable, quotidienne, d’exercices toujours identiques à l’oeil du profane dont le but proclamé est d’obtenir ce qu’il y a, dit Gardefort, de plus difficile : que le cheval marche droit.
De ce récit terriblement sec et d’apparence mince, François Leterrier a tiré une merveille, constamment maîtrisée, où la monomanie d’un vieil homme, qui pourrait passer pour ridicule – et l’est quelquefois, lors de la scène de la conciliation avant divorce ou de celle de la vente par Gardefort à un libraire indifférent de ses trésors bibliophiliques – attendrit plus qu’elle n’incite à l’ironie, où les rues patriciennes de Saumur sont le contrepoint superbe d’une pauvre vie d’apparence mesquine qui devient, par son excès même, une belle vie. La musique de Georges Delerue, mesurée, bien élevée, volontairement un peu étriquée n’est pas pour rien dans la qualité du film.
C’est peu dire que Jacques Dufilho porte le téléfilm sur ses épaules. Ce visage buté, sommaire, obsessionnel que de rares sourires éclairent à de rares moments semble avoir été dessiné pour le rôle et je serais bien curieux de savoir si le réalisateur n’a pas adapté la nouvelle de Morand précisément parce qu’il détenait, parmi les acteurs français du milieu des années 70, une physionomie et une allure pareilles. L’acteur est en tout cas impeccable, corseté, buté, absurde, fermé, enfoui dans son rêve et sa folle passion.
Je dépose pourtant un tout petit bémol : il me semble que la séquence terminale, Gardefort sur son lit de mort après l’accident volontaire où s’est jeté avec Milady, n’avait pas lieu d’être et que les paroles qu’il dit au banquier belge Grumbach (Claude Giraud) auraient pu être tenues avant le passage sur le viaduc. L’image finale aurait donc été le basculement dans le vide de l’homme et du cheval.
Mais il se peut que je n’aie pas raison.