On peut comprendre que des acteurs de deuxième ou troisième zone, contraints par la dureté des temps et la nécessité de survivre aient accepté de tourner dans cette infamie. Ils auraient d’ailleurs bien pu accepter de faire pire, si c’était possible. Qu’on le veuille ou non, il y aura toujours des fins de mois et des relevés bancaires déprimants. Luis Rego, qui était presque une vedette au moment des Bronzés, Élisabeth Margoni, pulpeuse épouse de Joss Beaumont (Belmondo) dans Le professionnel, Michèle Bernier, rondeur structurelle, Michel Galabru, cachetonneur majuscule et même Robert Hossein, dont je ne sais plus quoi dire étaient bien contraints d’accepter ce qu’on leur proposait.
Mais Gérard Lanvin, mais Gérard Depardieu ? Est-ce que des comédiens de cette envergure ne peuvent pas se dispenser, par respect pour ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont été, de figurer dans cette saleté, dans ce vomi cinématographique impressionnant de laideur, de vulgarité, de connerie ? Est-ce qu’il peuvent rentrer chez eux le soir sans avoir honte d’avoir joué un film qui n’est pas que raté (après tout, de grands réalisateurs ont commis des échecs magnifiques) mais qui est dégradant, choquant, insultant, misérable, dégueulasse ?
Il y a, ou il y a eu, des millions d’amateurs des romans à prétexte policier de Frédéric Dard consacrés aux exploits du célèbre commissaire San-Antonio et de son adjoint, le lamentable Bérurier. Et je dois même avouer que j’ai lu sans déplaisir une bonne quarantaine d’entre eux, animés d’une efflorescence verbale peu commune (mais qui, à la longue, fatiguaient par la récurrence des procédés). En d’autres termes, le personnage du commissaire ne tenait que par quelques coups de génie verbaux qui faisaient passer sur la banalité des intrigues et des situations.
Transmettre cette langue-là à l’écran n’était pas possible. Et , de fait, les dialogues de ce San Antonio sont parmi les plus plats et les plus vulgaires qui se puissent.
Au fait qui va voir ce genre de spectacle ? Très peu de monde, Dieu merci ! À peine plus de 200.000 spectateurs pour un film à gros moyens, tourné à Paris ou dans le Midi, avec des bagnoles, des bateaux, des motos, des cascadeurs, des tas de caméras, un nombre invraisemblable de personnages et de coureurs de cachet. Qui finance ? Le système particulier français d’aide à la création, qui permet à des nullités qui sont dans les petits papiers du ministère de la Culture et du Centre national de la cinématographie de recevoir une manne substantielle et d’être pré-acquis par les chaînes de télévision qui doivent occuper leurs programmes. Ça permet, sans doute de maintenir la fiction d’un cinéma hexagonal, mais ça l’enfonce de plus en plus dans des horreurs dégradantes.
Il est bien dommage qu’on ne puisse, ici et partout, déposer des notes inférieures au zéro. Et même au zéro absolu.