Autopsie du désastre.
Je n’avais jamais entendu parler de Spike Lee que pour son militantisme noir identitaire agressif. C’est donc plutôt une bonne surprise que de découvrir avec 24 heures avant la nuit un film sombre aux tonalités plus classiques qui, photographiant les trajectoires de trois copains d’école et les singulières évolutions divergentes qu’ils ont connues m’a quelquefois fait songer à Mystic river de Clint Eastwood. Et cela sans doute à cause des sites urbains de la Côte Est où se situent les films et aux intrigues torturées dans l’un et l’autre cas.
Je suppose qu’on peut se récrier beaucoup devant cette comparaison, assurément hasardeuse et sûrement due à ma grande méconnaissance du cinéma étasunien en général et de ses développements contemporains en particulier. Mais je l’ai ressentie, en m’appuyant, en plus, sur le sentiment de vies gâchées qui émerge dans les deux films.
Deux observations préalables, l’une anodine, l’autre moins.
Comment se fait-il que Monty Brogan (Edward Newton), chez qui on vient de découvrir (littéralement parlant) un matelas de dollars et un coussin d’héroïne puisse n’être pas immédiatement incarcéré et bénéficie d’un délai pour se rendre au pénitencier pour effectuer sept ans de prison ce qui est tout de même une peine très lourde ? J’ignore les finesses (!!) du système judiciaire des États-Unis, des libérations sous caution et tout le toutim, mais ça me choque…
Il y a un paradoxe (plutôt séduisant, d’ailleurs, intellectuellement parlant) à faire éprouver au spectateur une certaine sympathie pour les protagonistes qui sont tous, sans aucune exception, des canailles, grandes ou petites. Le sujet principal, donc, dealer sans état d’âme, mais aussi sa compagne, Naturelle Riviera (Rosario Dawson), bimbo qui ne se pose pas la moindre question sur le train de vie que lui assure son mec et qui passe ses journées à glander, James, le père de Monty (Brian Cox), qui sent confusément qu’il ne s’est pas beaucoup occupé de son fils… Et les amis, Jakob Elsnsky (Philip Seymour Hoffman), juif honteux, professeur sans charisme (faut voir à quelle vitesse ses élèves quittent son cours dès que la sonnerie a retenti !), quadragénaire frustré sexuellement et Frank Slaughtery (Barry Pepper), trader hystérique, sorte de Jérôme Kerviel des salles de marché new-yorkaises, qui a laissé son plus vieux pote, Monty, s’engluer dans le trafic…
À part ça, il me semble que le film commence trop lentement, chichite un peu dans les détails compliqués mais devient bien intéressant lorsqu’il accélère, devient de plus en plus sauvage, progresse vers la fin. Et la séquence finale, toute de rêverie sans pleurnicherie, qui montre seulement non pas ce qui pourrait être, quoiqu’en dise le père de Monty, mais bien ce qui aurait pu être ou ce qui aurait dû être, est d’une grande triste beauté…