Vue de l’autre côté.
J’ai d’abord été extrêmement surpris que Clint Eastwood adopte le point de vue de l’ennemi japonais et rende le Nippon presque sympathique, jusqu’à ce que j’apprenne que Lettres d’Iwo Jima était le pendant d’un autre film, Mémoires de nos pères consacré aux mêmes combats dépeints du côté étasunien. Je veux bien que l’exercice puisse flatter l’intellect et séduire l’acrobate. Il n’empêche que je m’interrogerai toujours sur l’indulgence, voire la bienveillance dont ont bénéficié les sujets du Soleil Levant, dont la barbarie fut à peu près aussi atroce en Extrême-Orient que celle des Allemands en Occident. Il se peut que le sentiment – injustifié – de culpabilité ressenti à la suite de l’apocalypse nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki ait entraîné cette mansuétude dont n’ont pas bénéficié les habitants de Berlin et de Dresde.
Curieux point de vue. Je ne suis pas sûr que si un cinéaste entreprenait de filmer avec empathie les combattants des divisions blindées boches qui ont ravagé l’Europe ils pourraient la ramener comme ça. Cela dit, on fait avec ce qu’on a et le cinéma a les reins assez solides pour supporter n’importe quel discours, jusqu’au plus incongru..
Ma bile jetée, qu’est-ce que j’ai pensé de ces longues Lettres d’Iwo Jima ? Que c’est un peu long, précisément, pour la minceur du sujet. Et puis que, comme dans tous les films de guerre, dans les avalanches de mitraillages et d’explosions, on ne comprend pas toujours ce qui se passe, qui gagne et qui perd. C’est certes très spectaculaire, quelquefois très violent (les soldats qui se suicident à la grenade, ceux qui sont carbonisés par les lance-flamme ou percés par les baïonnettes), il y a quelques images assez grandioses (l’océan littéralement recouvert de destroyers) et les tonalités sombres (c’est souvent proche du monochrome) conviennent particulièrement bien à l’atmosphère de cette île inhospitalière, hostile, où même les plages sont de sable noir…
Assez classiquement, le récit se concentre sur quelques figures emblématiques que le réalisateur creuse légèrement, à qui il donne un peu (ou un peu davantage) de chair. L’ennui, lorsqu’on ne connaît pas la physionomie des acteurs, c’est qu’on a tendance, au moins au début, à les confondre jusqu’à ce qu’ils soient complètement caractérisés ; cette incertitude dure une bonne moitié du film, d’autant que les flashbacks sont rares et tardifs. J’ai, pendant un bon moment, confondu le général Kuribayashi (Ken Watanabe) et le baron Nishi (Tsuyoshi Ihara), champion olympique de jumping à Los Angeles ; je n’ai pas bien saisi non plus l’état des subordinations militaires ; il semble qu’il y ait à un moment donné un amiral dont on ne parle plus ensuite…
Mon (relatif) ennui est aussi venu d’une totale absence de contextualisation : on ne sait pas au début du film à quelle période de la guerre on est (le Japon en a-t-il encore pour six mois, un an ?), où se situe, par rapport à Tokyo cette fameuse île d’Iwo-Jima, quelle est son importance stratégique, ce qui s’est passé auparavant, etc. Il est certain que les spectateurs européens ont rarement des connaissances sur des combats qui ne les concernaient nullement et qui étaient trop lointains pour qu’ils s’y intéressent alors qu’ils n’étaient eux-mêmes qu’à peine libérés.
Il faut d’ailleurs bien être à la fois agacé et admiratif de la façon dont la puissance cinématographique des États-Unis parvient à imposer sa vision du monde et à des épisodes de leur propre histoire qui ne nous concernent que bien indirectement…