Triste comme un chameau sous la neige.
Juste avant de signer une entrée tonitruante dans le cinéma, en 1942, avec L’assassin habite au 21 – immédiatement suivi par Le corbeau, Henri-Georges Clouzot avait prêté son talent de scénariste et de dialoguiste à deux films qui ne sont pas négligeables, Le dernier des six de Georges Lacombe en 1941 et Les inconnus dans la maison de Henri Decoin en 1942. Mais auparavant ? Eh bien, à partir de 1931, il avait entamé le rude apprentissage du métier de cinéaste en adaptant et dialoguant une quinzaine de films dont bien peu ont laissé la moindre trace dans la mémoire des cinéphages les plus assidus. À peine peut-on citer, dans cette veine et cette époque Un soir de rafle de Carmine Gallone en 1931, avec Albert Préjean et Annabella et Éducation de prince d’Alexandre Esway en 1938, avec Louis Jouvet et Elvire Popesco.
Les éditions Lobster viennent de faire paraître cet automne un coffret contenant 7 films parmi cette profusion (dont Un soir de rafle). Après tout, pourquoi pas ? De pieux archéologues trouvent sans doute leur miel dans cette addition sans raison d’œuvrettes oubliées. Mais à part la révérence que l’on peut montrer pour ce pèlerinage aux sources, l’intérêt de cette exhumation est assez minime.
Remarquez, j’avoue volontiers que je n’ai regardé de ce coffret que Ma cousine de Varsovie, adapté par Clouzot d’une pièce de Louis Verneuil qui remporta un immense succès sur le boulevard en 1923. Il paraît que le rôle de Clouzot s’est limité à introduire une scène initiale où le banquier Archibald Burel (Gustave Gallet) se voit ordonner par son médecin l’ordre d’aller se reposer à la campagne. Et c’est tout, le reste du film étant la simple transcription filmée de la pièce qui avait fait tant rire les spectateurs du Théâtre Michel où elle avait été créée.
Donc Burel décide de se replier pour une longue durée dans sa demeure opulente de Saumur, où il n’avait jusque là coutume que de venir passer le week-end. Et il dérange naturellement alors les amours coupables de sa femme Lucienne (Madeleine Lambert et de son meilleur ami, l’artiste peintre Hubert (André Roanne).
Survient à ce moment là, tout à fait inopinément, Sonia (Elvire Popesco), la fameuse cousine de Varsovie, réputée être absolument irrésistible et capable de séduire tous les hommes, si elle le désire. Dès lors et s’appuyant sur cette réputation non usurpée, un montage typique du vaudeville se forge : le banquier Archibald, estimant que son ami Hubert est un peu trop proche de sa femme, demande à Sonia de séduire le peintre et l’épouse adultère, pour se débarrasser de son mari, incite sa cousine à séduire le mari.
On devine les entrecroisements, les montages, les quiproquos, les découvertes, les surprises qui vont découler de ces prémisses : tout le théâtre de boulevard est bâti sur cette horlogerie implacable, invraisemblable et amusante où les irruptions imprévues, les doubles sens, les confusions foisonnent et déclenchent des cascades de rires. L’amant (ou la maîtresse) dissimulé dans le placard et à deux doigts d’être confondu, récupérant son honorabilité au prix de contorsions rigolotes et inimaginables, voilà qui peut fonctionner dans une salle où la chaleur communicative des rires des voisins et l’euphorie de la sortie vespérale disposent à la bonne humeur ; mais devant son écran, devant une architecture aussi compliquée que prévisible, on guette infructueusement le bon moment, le bon mot, la bonne physionomie. Ce qui est triste dans Ma cousine de Varsovie, c’est que même le grand Saturnin Fabre, qui interprète un ami aviné du banquier Archibald, n’est pas très bon.
Le seul avantage, c’est que ce n’est pas très long…