Irréalisme poétique.
Pour avoir vu avant ma dixième année La bergère et le ramoneur et en être resté durablement fasciné, je me faisais une joie de regarder Le Roi et l’oiseau qui est son accomplissement. Ah ! Il faut que je dise que le premier titre est une sorte de base tronquée du second, diffusée par le producteur André Sarrut contre l’avis formel des auteurs, Paul Grimault et Jacques Prévert. Ce désaveu n’empêcha d’ailleurs pas le film initial de remporter une kyrielle de récompenses internationales, notamment à la Biennale de Venise. Mais donc, plusieurs années après la présentation de ce qu’il jugeait être une ébauche, à tout le moins une œuvre imparfaite et inachevée, Paul Grimault,réussit, en 1967, à racheter les droits de son film et, avec l’aide de Prévert, (jusqu’à sa mort en 1977) à le restaurer ou, mieux, à le reconstituer, beaucoup de négatifs ayant été perdus ou abîmés.
Et donc, dans une orientation assez différente (les protagonistes principaux d’avant – La Bergère et le Ramoneur – ayant été remplacés par de nouveaux personnages de premier plan – Le Roi et l’oiseau -), voici une réalisation très encensée et très originale qui, paraît-il, comme sa devancière, a influencé le nippon Hayao Miyazaki. Il y a des perspectives très belles, des points de vue très inventifs, un dessin qui surprend et séduit souvent, une façon de raconter qui désarçonne quelquefois mais n’est pas désagréable.
Pourtant je n’ai pas vraiment apprécié et je me suis même un peu ennuyé devant cette histoire inspirée d’Hans Christian Andersen où l’on voit un Roi cruel, grotesque, hystérique, entouré de courtisans d’une absolue veulerie et d’une complaisance ridicule et de policiers aussi obtus qu’inefficaces essayer de briser les amours d’une bergère et d’un ramoneur, eux-mêmes issus de peintures, protégés par un oiseau libérateur.
Il y a plein d’arrières plans politiques ou sociétaux dans le film, ce qui n’a rien d’étonnant, Grimault et Prévert ayant fait l’un et l’autre partie du groupe anarcho-communiste Octobre avant la guerre et n’ayant jamais renié leur engagement. Mais ce n’est pas ce point, finalement subsidiaire, qui me retient, tant je pense qu’on peut réaliser des films magnifiques, exaltants ou émouvants avec les pires idéologies qui se puissent.
C’est simplement qu’à mes yeux le dessin animé, lorsqu’il atteint les dimensions d’un long métrage, ne peut se passer de l’esprit d’enfance, c’est-à-dire du goût pour la féérie ; et de ce point de vue là, Le Roi et l’oiseau est sûrement trop cérébral, trop didactique, trop relié à une pensée structurée. On m’objectera, évidemment, que les grandes œuvres dont sont adaptés les films les plus notoires et les plus séduisants de Walt Disney, de Blanche Neige à La belle au bois dormant en passant par Pinocchio, Alice au pays des merveilles ou Cendrillon , que leurs auteurs soient les frères Grimm, Carlo Collodi, Lewis Carroll ou Charles Perrault sont pleins d’allusions et de connotations dissimulées, souvent très sexuelles et presque toujours douteuses. Certes, mais je n’imagine pas une seconde que, sauf à avoir un esprit particulièrement fouineur et perverti, on puisse, quand on a entre six et douze ans, s’ensevelir dans une interprétation plus ou moins freudienne de ces contes qu’on a tout à fait loisir de regarder au premier degré.
Ce n’est pas vraiment le cas pour Le Roi et l’oiseau qui est moins un film pour les enfants qu’un divertissement un peu esthétisant, un peu happy few pour adultes qui apprécieront images, musique (de Wojciech Kilar, avec, ici et là, des mélodies de Joseph Kosma) et la redoutable verve de Jacques Prévert. N’empêche que c’est un peu vain.