Reflets dans un œil d’or.
Peu de films m’ont laissé une impression aussi étrange ; l’impression d’être devant un jardin magnifique dont je peux apercevoir la beauté, entendre la musique enchantée, mais un jardin fermé par une porte dont je n’ai pas la clef. Surpris, décontenancé par ce récit un peu magique, fantastique, empli d’émotion, de simplicité, de force et de tendresse. Interprété par une actrice dont je n’avais jamais entendu parler, Irène Jacob, qui donne son rôle à la fois unique et double une profondeur, une résonance, une beauté rares. Et tout cela soutenu par la partition magnifique du compositeur polonais Zbigniew Preisner, toujours idéalement adaptée à l’image et d’une grande beauté rayonnante.
Est-ce l’originalité de l’histoire qui m’a fait regimber ? Peut-être mais pourtant… Weronika à Cracovie, Véronique à Clermont-Ferrand n’ont pas d’autre rapport apparent que d’être nées le même jour et sont pourtant unies de manière indicible, mystérieuse par une sorte de fil intangible dont elles ne sont pas conscientes mais qui fait que, lorsque la vie de l’une s’arrête brutalement, à cause d’une saleté cardiaque, sur une scène de concert où elle bouleverse par son chant tout autant le chef d’orchestre, les musiciens, les autres choristes et les spectateurs, l’existence de l’autre connaît un tour nouveau.
Sans doute assez sottement, j’ai songé à une chanson oubliée chantée par Colette Renard en 1960, qui s’appelle Le marin et la rose ; une chanson assez étrange, pleine d’une poésie un peu singulière : Y’avait un’fois, une rose, une rose et un marin/’L’marin était à Formose, la rose était à Dublin./Jamais au monde ils n’se virent, Ils étaient beaucoup trop loin/Lui n’quittait pas son navire, ell’ n’quittait pas son jardin. Déjà de mystérieuses résonances, des cheminements que la raison ne comprend pas.
Mais faut-il comprendre quoi que ce soit à La double vie de Véronique ou simplement se laisser porter par une pérégrination fondée sur ces mystères ? Pourquoi Véronique à Clermont-Ferrand est-elle aussi fascinée par cette représentation poétique de marionnettes élégantes que montre Alexandre (Philippe Volter), qui va lui faire parcourir une sorte de parcours plus compliqué encore que celui que franchit Amélie Poulain ? Comment n’être pas, d’ailleurs, un peu dépité par ce jeu de piste qui parvient à réunir les deux jeunes gens, de façon tout à fait tirée par les cheveux?
Et pourtant, La double vie de Véronique a quelque chose d’envoûtant, d’hypnotique même, malgré sa fin assez ridicule, gentillette d’abord, ambiguë ensuite, qui n’est pas au niveau des belles images du début. C’est très, trop déroutant et on finit par se demander si on n’a pas été la victime d’une illusion fomentée par un metteur en scène habile, d’un illusionniste inspiré…
Mais je comprends qu’on s’y laisse prendre.