Il n’y a plus d’après.
Je comprends parfaitement qu’on puisse avoir de la réticence et même du rejet envers ces films entièrement chantés que Jacques Demy a, sûrement à peu près seul dans le paysage cinématographique, tournés et mis au premier plan. J’ai encore le souvenir de mines décontenancées des spectateurs qui quittaient la salle au bout d’un quart d’heure lorsqu’en 1964, j’ai vu pour la première fois Les parapluies de Cherbourg. Il faut admettre l’artifice, accepter la fantasmagorie, ne pas être rebuté par la convention. On entre ou on n’entre pas dans cette optique et on peut tout à fait concevoir que sa longue illusion est absolument insupportable. C’est encore plus artificiel que la comédie musicale, genre où les acteurs entreprennent à des moments choisis de lever la gambette et de pousser la chansonnette.
Mais enfin, pour qui aime, il faut de l’enchantement. Celui que précisément Jacques Demy avait su insuffler à une histoire simple et bête comme la vie, de la jeune fille de Cherbourg, qui n’a pas, ou à peine 17 ans et voit partir au service militaire le garçon qu’elle aime, alors qu’elle en est enceinte. L’idéale incarnation de cette jeune fille toute simple par Catherine Deneuve, la musique si délicieuse de Michel Legrand, la photogénie de Cherbourg permettaient à ce film étrange et attachant de conquérir le grand public et de demeurer durablement dans les mémoires.
Était-il bien nécessaire de renouveler, presque vingt ans plus tard, cette sorte de miracle ? Je n’en suis vraiment pas certain, même si Une chambre en ville n’est pas, loin de là, la catastrophe industrielle que certains ont dénoncée. Il y a de bien belles choses dans ce film, des décors magnifiques et le charme profond de Nantes, qui est une des plus séduisantes villes de France, qui en a tant et tant à proposer à l’admiration. Je ne mettrai pas non plus au pilori le parti-pris de réaliser un mélodrame excessif qui devient à la fin un champ de ruines où les morts s’entassent et s’accumulent. Après tout, si l’on a commencé à faire pleurer Margot et à accentuer l’outrance, autant aller jusqu’au bout dans cette étude en noir.
Je veux bien aussi passer, pour la même raison – l’acceptation d’une certaine magie – sur les invraisemblances du récit, les hasards magnifiques qui font que se rencontrent des personnages qui n’auraient jamais dû que se croiser, que se plaisent jusqu’à la mort des êtres que rien ne devrait relier et que les drames se multiplient jusqu’à déchiqueter tout le monde, puisque personne ne finira intact. Après tout, pourquoi ne pas admettre que dans Nantes secouée par des revendications ouvrières violentes se rencontrent un métallo, François Guilbaud (Richard Berry) et une jeune femme mal mariée, Édith (Dominique Sanda), issue d’une famille bourgeoise décavée ? L’ennui est que la dame est mariée à Edmond Leroyer (Michel Piccoli), petit bourgeois ratiocineur, mesquin, ladre et impuissant et que le monsieur vit une histoire paisible et banale avec Violette Pelletier (Fabienne Guyon), à qui il vient de faire un bébé.
On imagine sans peine, au vu de ces prémisses, les développements romanesques et tragiques que ça doit donner et que ça donnera : le pire. Ce qui ne suffirait pas à déconsidérer le film si Demy en avait pu tenir les rênes ; car c’est notamment en cela que pèche Une chambre en ville : la trop grande quantité d’intrigues et de relations qui s’établissent entre les personnages.
Autant Les parapluies mettaient en scène une relation presque exclusive, autant Une chambre entrelace trop de rapports. Ceux de François/Berry et d’Édith/Sanda, mais aussi ceux de François et de Violette/Guyon, d’Édith et de son mari Edmond/Piccoli et naturellement aussi ceux de Margot (Danielle Darrieux), la mère d’Édith avec sa fille.
Et là-dessus l’atmosphère de la grève violente. Qui trop embrasse, mal étreint et Demy n’est pas parvenu à mener de front tout cela. D’autant que, Michel Legrand ayant refusé d’écrire la musique du film, alors que ses notes étaient si consubstantielles aux Parapluies, aux Demoiselles, à Peau d’âne, c’est à Michel Colombier et dans un autre esprit, moins mélodique, qu’a été confiée la tâche de faire vivre les actions et les amours mis en scène. Cette musique est bien loin d’être déplaisante, mais on n’y retrouve pas la palpitation et les harmonies qu’on aimait.
On s’en veut un peu de ne jamais marcher dans un parcours assez ambitieux, attachant, mais à quoi on n’adhère pas. D’autant que les acteurs ne facilitent pas la tâche. Là où l’on souhaite des visages et des allures magiques, adaptés à ce conte de fées tragique, on n’a que des acteurs qui font honnêtement leur boulot mais ne portent pas leurs rôles. C’est bien dommage.