Faire gaffe au Grand méchant loup !
Et voilà le Chabrol qu’on aime et qui, en tout cas, fait passer un bon moment ! Un cinéaste sans beaucoup de génie, mais qui aime tourner, sait tourner et, lorsqu’il n’est pas empuanti par son aversion anti-bourgeoise, est capable de fabriquer de vrais bijoux, cyniques ou tendres (La femme infidèle ou Le boucher), mais aussi de très bons films distrayants, presque glaçants (Violette Nozière, L’enfer, La cérémonie). Mais il y a aussi le Chabrol des sarcasmes – souvent bien ratés – du type Les godelureaux, Le Tigre se parfume à la dynamite ou Docteur Popaul – ou plus ou moins réussis – L’Inspecteur Lavardin. Et aussi le Chabrol narquois, pétillant, funambule. Et c’est alors un réalisateur qui ne se prend pas au sérieux, filme parce qu’il aime filmer, choisit les acteurs qu’il aime, qu’il admire, avec qui il est bien, se donne les coudées franches et bâtit en riant une intrigue invraisemblable.
En découvrant tout à l’heure Rien ne va plus qui date de 1997, j’ai songé à un bien plus ancien film de Claude Chabrol, film que je n’ai pas vu depuis trop longtemps pour bien me le rappeler mais qui, me semble-t-il, montrait des personnages happés par un monde inquiétant, glaçant, terrifiant où ils découvraient une autre réalité. Ce film, assez burlesque, alimentaire et peu maîtrisé, s’appelait Marie-Chantal contre le docteur Kha, avec Marie Laforêt en gourde snob et délicieuse pourchassée par des meutes d’espions. Aucun vrai rapport avec Rien ne va plus où un couple d’escrocs gagne-petit, Victor (Michel Serrault) et Betty (Isabelle Huppert) se trouve aspiré par une affaire dangereuse d’une dimension supérieure à leur petit commerce habituel. Sinon – et je ne suis pas certain que ce soit un hasard ou un oubli – que l’affreux chef criminel, interprété avec un talent fou par Jean-François Balmer, est appelé Monsieur K. Comme c’est amusant ! Et bizarre.
Le couple d’escrocs est habile, intelligent, ingénieux, mais ne se risque pas à sortir de son périmètre. Betty/Huppert,qui est cornaquée par Victor/Serrault écume les congrès professionnels où se trouvent réunis pour quelques jours de braves nigauds provisoirement dépourvus de leur légitime, séduit l’un d’eux, le drogue et fait avec Victor les poches du faisan. C’est ce qui arrive à Chatillon (Jackie Berroyer) lors d’un rassemblement de commerçants en outillage de jardin. Le brave négociant clermontois tout éberlué de voir une séduisante tigresse qui se dit Sous-directeur du contentieux à l’UAP lui offrir une nuit d’amour. Grisé par sa bonne fortune (surtout devant ses collègues, stupéfaits et envieux), un somnifère puissant versé dans son whisky, il est promptement dévalisé avant même d’avoir pu poser ses paluches sur la séduisante Betty.
Même si le réalisateur s’amuse à laisser planer une certaine ambiguïté, le spectateur n’est pas très longtemps dupe de la nature de la relation qui unit Victor et Betty : ils sont père et fille, ce qui donne un certain piment très amusant au récit. Victor, quoiqu’il en dise, est un peu agacé, jaloux même d’une certaine façon, de la liberté que s’octroie de temps en temps sa fille, mais il sait bien aussi qu’il est le seul vrai pilier de sa vie.
À l’occasion d’un nouveau projet d’entourloupe rémunératrice à Sils-Maria au prestigieux hôtel Waldhaus, pour un congrès d’odontologie, voilà qu’une affaire bien plus considérable est proposée à Victor par Betty, qui la prépare et la couve depuis plusieurs mois : détourner 5 millions de francs suisses (à peu près autant en €) que son amant du moment, Maurice (François Cluzet), qui travaille pour un consortium criminel, doit transporter de Suisse aux Caraïbes. Même si Victor se méfie de l’énormité de la somme et des dangers inhérents, il accepte, certainement encore davantage pour épater sa fille que pour réaliser un gros gain.
On devine que le consortium maffieux n’est pas du tout de la même trempe que les braves provinciaux en goguette qui étaient jusqu’alors l’habituel gibier du couple d’escrocs. Et ça donne quelques excellentes scènes assez glaçantes lorsque le duo tombe aux mains de M. K (Jean-François Balmer) et de sa bande de tueurs-tortureurs (excellente composition de Jean Benguigui, gluant comme une limace vicieuse). On devine aussi – peut-être un peu trop – les déroulements rocambolesques et ingénieux de l’intrigue et la fin qui n’est en rien surprenante. Mais on a passé un bien bon moment au milieu d’excellents acteurs, de scènes enlevées, quelquefois drôles, quelquefois cruelles et on a bien regretté que tous les films de Claude Chabrol ne soient pas aussi malins.