« La voix, drôle de voix, profonde et saccadée »
Trois mois de confinement pour les cinémas, ce qui n’est pas grand chose, mais surtout 80 ans depuis l’Appel du 18 juin 1940 et 50 ans en novembre pour la mort du Général. Et quand on écrit Général en France, aujourd’hui et pour longtemps encore j’espère, c’est à Charles de Gaulle qu’on pense. Avoir vécu alors qu’il était aux affaires, même si l’on était trop jeune pour en apprécier toute l’ampleur, est un bonheur rare. Un moment où, à chaque mot, à chaque expression qu’il employait, on se sentait plus fier d’être Français, parce que c’était lui qui imprimait au monde son rythme, un monde qui pouvait s’agacer, regimber, tenter de se gausser mais qui était fasciné par les propos qu’il tenait à Montréal, à Mexico, à Phnom-Penh, qui interloquaient la planète et lui faisaient prendre conscience que le courage et la volonté pouvaient quelque chose pour illuminer les grises permanences…
Voilà que je m’exalte alors que je sors à peine de la salle où je viens de voir l’honnête film de Gabriel Le Bomin, qui présente les quelques semaines où le destin du général va basculer, ces quelques semaines où la France aurait pu s’être perdue et où un homme seul, qui aurait pu être un colonel vaincu parmi d’autres lui a redonné fierté et vaillance. La grande qualité de De Gaulle est précisément de présenter cet homme sans tout l’appareil d’adulation dont on l’entoure désormais. Ce qu’il y a de meilleur – et de loin ! – dans le film est tout ce qui relie le général (assez bien incarné par Lambert Wilson, mais Bernard Farcy dans d’autres interprétations avait sans doute été encore plus crédible), tout ce qui relie le général à sa famille. C’est d’une grande sensibilité, d’une belle intelligence et d’avoir placé presque au premier plan l’amour qu’il porte à sa femme (idéalement jouée par Isabelle Carré) est une superbe idée.
Car si l’on peut trouver ici et là que la retranscription des événements survenus entre avril et juin 1940 est un peu pompeuse, un peu gourmée, un peu théâtralisée, on ne peut pas éviter de ressentir une grande émotion à la vue de l’histoire lumineuse qui unit une famille. Une famille affligée par le handicap insurmontable de la jeune Anne (Clémence Hittin), cette petite fille trisomique, cette cadette dont le général dit à sa mort, en 1948, alors qu’elle avait 20 ans, Maintenant elle est comme les autres.
Le film alterne les séquences, peut-être de façon un peu trop systématique, un peu trop arithmétique, entre ce qui se passe dans la famille et ce qui se passe au sommet d’un État en pleine décomposition, saisi par la panique et la merveilleuse lâcheté vers la mansuétude déjà évoquée par Montaigne. Sous les coups inimaginables de l’armée allemande, les défenses cèdent sur tous les points du front et le pays s’écroule devant les yeux effarés de ceux qui prétendent encore le gouverner.
Tout ce que Gabriel Le Bomin peut relater de cet effondrement est un peu scolaire et même quelquefois un peu faux : par exemple, on se demande pourquoi le maréchal Pétain (Philippe Laudenbach) est présenté comme un factieux qui ne rêve depuis longtemps que tordre le cou à la République ; c’est pour le moins hasardeux, l’homme étant réputé comme un des rares généraux républicains de l’armée française. Et même si l’on sait l’influence qu’Hélène de Portes (Philippine Leroy-Beaulieu) exerçait sur son amant Paul Raynaud (excellent Olivier Gourmet), on se trouve un peu trop dans le vaudeville dans les scènes où elle intervient.
Mais tout ce qui se passe entre Charles et Yvonne et avec leurs enfants, Anne bien sûr mais aussi Philippe (Félix Back) et Élisabeth (Lucie Rouxel) ou la dame de compagnie Marguerite Potel (Catherine Mouchet) est magnifique, émouvant, intelligent. Penser qu’un si grand destin a pu s’accomplir ainsi, avec, pour lui, l’incertitude du sort des siens et pour Yvonne, avec le grand courage, l’absolue certitude et la confiance aimante envers un homme d’exception et que ceci nous est encore sujet d’exaltation et de fierté est un beau service rendu à notre pays.