La mer qu’on voit danser.
Dans l’inconscient collectif, l’idée d’une malédiction qui flotte à la suite d’un crime jadis commis et dont la responsabilité pèse sur de braves clampins d’aujourd’hui, qui n’en peuvent mais, n’est pas fréquente mais je puis en citer au moins une. Le bien plaisant 2000 maniacs de Herschell Gordon Lewis qui date de 1964 et conte la vengeance entreprise par des fantômes Confédérés sudistes massacrés cent ans auparavant par les soldats de l’Union sur les Yankees qui s’aventurent sur leur territoire. C’est rigolard, sarcastique, joyeusement et délibérément cruel, ça fait participer toute la population sudiste au massacre des descendants de ses tortionnaires.
Pas un brin d’humour dans Fog mais une réelle efficacité dans cette histoire de vengeance séculaire où des marins lépreux, attirés sur des récifs et dépouillés de leur or par une camarilla de six naufrageurs avides menés par le criminel pasteur Malone reviennent cent ans plus tard réclamer à la fois du sang et leur trésor. La prospérité du petit village d’Antonio bay a été fondée sur le crime : il n’est pas illégitime que les malheureux noyés viennent demander des comptes.
Les damnés vont se manifester sous la forme d’un brouillard glaçant, insinuant, qui s’introduit dans tous les espaces et de qui surgissent des matelots gluants, sans visage et sans pitié qui cherchent à prendre leur dû, œil pour œil, dent pour dent : ce sont six victimes d’aujourd’hui qui devront répondre pour les six criminels du passé. Ma foi, voilà qui est à peu près conforme à de vieilles traditions : Que Son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! comme disaient les Juifs pieux à Ponce Pilate en réclamant la mort du Christ.
Carpenter va pécher ici et là des personnages que la menace horrifique va réunir ; rien d’étonnant à ça : dans la plupart des films où un danger inconnu et glaçant rode, le réalisateur, pour mieux insérer le spectateur dans la réalité agit ainsi. Il y aura donc le robuste Nick Castle (Tom Atkins) qui a ramassé sur la route Elizabet Sollay (Jamie Lee Curtis), auto-stoppeuse bonne fille à la cuisse légère et va se trouver embringué avec elle dans la géhenne ; il y a Stevie Wayne (Adrienne Barbeau) gérante et animatrice unique de la radio locale, qui vit seule avec son gamin Andy (Ty Mitchell) ; et il y a Kathy Williams (Janet Leigh, au demeurant mère de Jamie Lee Curtis dans la vie) qui est en train d’organiser la célébration du centenaire de la bourgade.
Comme on peut assez rapidement s’y attendre, ces cinq personnages, plus tard flanqués du pasteur alcoolique Robert Malone (Hal Holbrook), descendant du scélérat qui a entraîné au naufrage et à la mort le voilier chargé de son équipage lépreux, vont être poursuivis par les vengeurs et se sortiront à peu près indemnes (mais à peu près seulement) de la malédiction, après avoir payé le tribut nécessaire.
Le scénario est d’une grande simplicité mais Carpenter en tire au mieux toutes les ressources ; il faut apprécier la virtuosité avec quoi il manie ses personnages, les trois ou quatre endroits où il les place ; il y a bien, certes, un peu d’esprit de système dans la façon où le réalisateur coupe les séquences à point nommé, comme dans un feuilleton télévisé, au moment où l’angoisse envahit, pour passer illico à d’autres protagonistes qui vont se trouver eux aussi dans d’horribles situations. Il y a quelques belles images inquiétantes de ce brouillard étouffant qui s’introduit partout et une belle scène dans le temple qui fait songer à des moments mauvais de Prince des ténèbres.Incontestablement, John Carpenter, malgré des scénarios trop simplistes, sait créer une atmosphère et, bon artisan, susciter l’angoisse pour qui ne demande pas davantage que des chocs visuels. Mais ça s’arrête là.