Ouh là là, quelle audace !
J’ai l’impression qu’on ne parle plus guère maintenant de Fernando Arrabal qui a pourtant connu une considérable notoriété il y a une bonne cinquantaine d’années comme dynamiteur du théâtre et un des héritiers du courant surréaliste. Il est vrai qu’il se dirige, à l’heure où j’écris, vers ses 88 ans, qu’il atteindra au mois d’août prochain. Remarquez, ce n’est pas tellement une raison, puis-je assener (avec une réelle mauvaise foi) puisque demain 24 juillet, nous célébrerons le 132ème anniversaire de la naissance d’Alexandre Dumas, qui me semble être pour sa part demeuré en plein éclat de gloire.
Le cimetière des voitures était le premier travail d’Arrabal que je découvrais. En 1971 j’avais passé mon tour avec Viva la muerte !, qui avait fait du tintouin sur les écrans et où l’auteur réglait ses comptes avec le général Franco. Ce cimetière m’est tombé fortuitement entre les mains : film court (1h25), produit en 1983 par Antenne 2, ancêtre du France 2 actuel, adaptation filmée d’une pièce de théâtre de 1958. Interprété par quelques noms un peu (un tout petit peu) notoires : Alain Bashung, Juliet Berto, Micha Bayard, Denis Manuel…
Dans un monde mauvais qui vient de connaître une guerre nucléaire se sont regroupés dans un cimetière de voitures clandestin et recherché par des autorités fascistoïdes une kyrielle de libertaires. La liberté que tous ces gens revendiquent au premier chef, c’est naturellement la liberté sexuelle. De fait, on n’a jamais mieux appâté le lecteur ou le spectateur qu’en faisant appel en lui au fameux cochon qui sommeille (même si je crois que le coq est plus important encore dans notre ménagerie – je ne me prononce pas pour la poule, au demeurant). Donc tout un paquet de marginaux de tout acabit et, comme on dit à l’heure actuelle, de toutes orientations.
On croit d’abord qu’il n’y aura dans le film qu’une des énièmes dénonciations des méchants Pouvoirs qui ne font rien que d’embêter les gentils Citoyens eux-mêmes exclusivement préoccupés de s’éclater en écoutant de la musique rythmée et de s’envoyer en l’air. Nous savons bien, depuis Philippe Muray que l‘Homo festivus est tout à fait ce que souhaitent les multinationales et toutes les puissances d’argent pour accomplir en douce leurs mauvais coups. Mais passons : ceci n’est pas (vraiment) une tribune politique.
Pourtant graduellement s’installe en sous-jacence un sujet qui va prendre de plus en plus d’importance : Le cimetière des voitures est la transposition des Évangiles dans un univers grisaillant et angoissant ; il faut d’ailleurs donner acte au décorateur Bernard Thomassin de la qualité de ses atmosphères. Transposition évangélique cousue de provocations et de blasphèmes ; ce qui est toujours plus facile avec le christianisme, l’islam ayant montré lors de l’affaire Charlie Hebdo qu’il réagissait de façon… plus vigoureuse lorsque l’on se moque de son Prophète. Mais passons : ceci n’est pas (vraiment) une tribune politique.
Mon catholicisme est suffisamment ancré et solide pour que des tentatives de profanations et de blasphèmes me laissent bien froid : après tout on ne s’attaque qu’à ce qui résiste et si Arrabal a un problème avec la religion de ses ancêtres, c’est un problème entre lui et son Créateur, sûrement pas avec moi. Donc citer et réciter les paroles du Christ, reconstituer des épisodes aussi notoires que la naissance dans la crèche, la guérison de l’aveugle ou celle du paralytique, la résurrection de Lazare, la Cène, faire dévider à Bashung quelques unes des paroles les plus célèbres, dont les Béatitudes, ne me font pas bouger un cil. Mais qu’est-ce que tout ça est prétentieux et ennuyeux ! Qu’est-ce que ça tire à la ligne ! Qu’est-ce que c’est vide et finalement bâclé !
On sait comment les choses vont se terminer : par le baiser de Judas, la crucifixion et la mort. Il manque évidemment à Arrabal d’avoir compris la suite, c’est-à-dire la Résurrection. Mais ce n’est pas une affaire pour les écrivains habiles.