Ma perpétuelle valse-hésitation devant le cinéma de Federico Fellini ; je commence tout de même en avoir regardé un peu (la moitié d’une œuvre finalement assez courte : une vingtaine de films), je ne suis jamais descendu jusqu’aux abysses, je ne suis jamais monté jusqu’au chef-d’œuvre. Ce que j’ai vu de pire, jusqu’à présent, c’est Le cheik blanc et Juliette des esprits ; ce que j’ai vu de mieux, c’est La dolce vita et Et vogue le navire. Et voilà que Les nuits de Cabiria ne vont pas augmenter la moyenne, puisque je les note, précisément, exactement à la moyenne. Et cela surtout grâce au jeu lunaire et lumineux (parallèle amusant) de Giulietta Masina, qui, d’ailleurs, reçut à l’occasion une kyrielle de prix et distinctions.
Parce que, pour le reste, c’est tout de même du mélodrame bien banal. Des histoires de gentilles prostituées aux yeux tendres, qui font sans plaisir et avec beaucoup de résignation leur triste boulot d’égoutières des saletés humaines, on en a vu et on en voit toujours des palanquées. De la seule époque, ou presque que Les nuits de Cabiria, on peut citer le segment La maison Tellier du Plaisir de Max Ophuls ou Dédée d’Anvers d’Yves Allégret. Il y aura toujours des filles qui croiront à la vraie amour et qu’aucune déception, aucune humiliation, aucune souffrance ne pourra anéantir. Et c’est tant mieux pour elles et pour leurs clients qui, sans cela dégorgeraient leur sève encore plus violemment, sans doute, quoi qu’en disent les harpies féministes.
La bien gentille Cabiria (Giulietta Masina, donc) est une de ces gourdes exemplaires ; elle est d’ailleurs un peu trop idiote pour convaincre qui que ce soit : dès le début du film, alors qu’elle court, folle de plaisir, vers la plage, son amant d’alors lui pique son sac, qui contient, c’est l’évidence, sa recette nocturne. Miraculeusement, et sur un malentendu (comme dirait l’autre) elle se retrouve dans le bel appartement et presque dans le lit d’une grande vedette de l’écran, Alberto Lazzari (Amedeo Nazzari, à peu près inconnu en France mais qui fut une des plus grandes vedettes cinématographiques italiennes). Et rencontre tout aussi inopinée et presque miraculeuse avec Oscar D’Onofrio (François Périer) qui semble être le brave homme qui va pouvoir sortir Cabiria de sa gangue.
Il faut bien dire que si la logique du récit veut que la pauvre fille soit exploitée jusqu’au trognon, la survenue de celui qui paraît être d’abord un type aussi naïf et niais qu’elle aboutit mal ; est-il d’emblée fasciné par l’argent qu’il imagine que la prostituée doit détenir ou plus simplement étourdi par la masse de billets qu’elle exhibe après qu’elle a vendu sa maison et vidé son carnet de caisse d’épargne ? On n’en sait trop rien.
Et si les deux premières illusions de Cabiria – l’amant fugace qui lui arrache son sac à main, l’acteur célèbre qui la ramasse par ennui et s’en débarrasse en lui glissant quelques billets – s’insèrent parfaitement dans la logique de sa pauvre existence, la rencontre avec un personnage qui semble initialement aussi évaporé qu’elle, mais qui se transforme presque brutalement en gouape minable, voleur et presque assassin est moins bien bienvenue. On a alors tout à fait l’impression que Fellini conduit une sorte de démonstration au tableau qui tend à prouver que la gentille idiote ne s’en sortira jamais.
Ou, plutôt qu’elle ne s’en sortira que par sa gentillesse et son idiotie, qu’elle ne perdra jamais courage, que telle une fille de Sisyphe, elle remontera sans jamais se décourager une montagne sans vraiment se rendre compte qu’elle est inaccessible ou davantage encore impossible à vaincre. Aux meilleurs moments de la comédie italienne, ce genre d’évidences aurait éclaté en plein écran. Mais je crains que Fellini ne soit jamais allé jusqu’au bout de ses contes.