Éros + Massacre
La grande dépression. États-Unis de la crise et de la misère, des fermiers chassés de leurs terres par des créanciers qui font faillite eux aussi peu après. Sensation de poussière et de touffeur. Générique glaçant : instantanés de Dorothea Lange ou de Nathan Lerner sans doute, avec le seul son du déclencheur d’un appareil de photo d’abord puis sur la voix sucrée d’un crooner. Bonnie (Faye Dunaway), nue dans sa chambre, sous l’été poisseux. L’échange immédiat de regards avec le petit voyou Clyde (Warren Beatty) est une des séquences les plus fortes qui puisse montrer un coup de foudre. Fascination immédiate, mutuelle, qui rend presque ridicule le métalangage obligé qui couvre à peine l’attirance folle des deux jeunes gens.
Je me souviens encore, près de cinquante ans après, du choc visuel que le film d’
Arthur Penn a représenté à sa sortie : il ne me semble pas qu’on avait, jusqu’alors, filmé la violence de cette façon là, violence sans espoir, ni justification autre que la peur : peur des bandits, trop novices pour ménager des vies, comme les gangsters des films habituels ; enfermement dans l’engrenage de la peur ; et peur, aussi, ressentie par la police, lors de la fusillade finale, terriblement esthétique et bouleversante, déclenchée par l’envol inopiné d’un oiseau…
Sans doute la période et le désespoir suscités par la dégringolade en quelques semestres de la prospérité et des espérances ont été rarement aussi bien représentés que par ce film dont l’esthétisme recherché, les couleurs chaudes, les images irisées, les poursuites échevelées faisaient semblant de masquer la colère : il n’est pas indifférent que
Bonnie and Clyde ait été tourné en 1967, c’est-à-dire pendant l’année où les effluves psychédéliques, le mouvement hippie et les émeutes raciales ont fait l’actualité aux États-Unis et où, en France,
Jean-Luc Godard a tourné
La Chinoise ; il y a des signes avant-coureurs qui ne trompent pas tant que ça.
Faye Dunaway a marqué, par sa façon de s’habiller, au moins toute une saison de jolies filles (ah ! les bérets à la Bonnie !) et même si la bêtise crasse de toute la famille apparaît évidente, la jeunesse et la séduction du couple a créé un mythe assez fort :
On ne va nulle part : on fuit. On ne pouvait mieux dire.
Notons que la musique country (
Foggy Mountain Breakdow), curieusement assez oubliée (on entend aujourd’hui davantage la chanson de
Serge Gainsbourg avec
Brigitte Bardot, dont la musique est sans rapport avec le film)… n’est pas non plus pour rien dans la qualité de
Bonnie and Clyde et que les poursuites éperdues sur le banjo rageur de Earl Scruggs avec leur côté mécanique, burlesque et désespéré racontent admirablement la chevauchée nihiliste de Bonny Parker et de Clyde Barrow.
This entry was posted on jeudi, décembre 4th, 2014 at 11:35 and is filed under Chroniques de films. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed.
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