Ratage grandiose.
Après avoir dit et proclamé que la restauration de Lola Montes a été exactement et pieusement faite, que les couleurs ont retrouvé un éclat que mes souvenirs (et une VHS délavée) n’imaginaient pas si éclatantes, que le son est stéréophonique, les langues d’origine restituées, le montage conforme à la volonté de Max Ophuls (montage qui a reçu l‘imprimatur de son fils Marcel), après avoir reconnu toutes ces bénédictions, l’amateur passionné de Lettre d’une inconnue, de La Ronde, du Plaisir et, au dessus de tout de Madame de ne peut qu’avouer la confirmation de sa déception.
J’espérais bien, pourtant que, débarrassé des défauts dus à l’âge, corrigé des idées folles des producteurs qui le mutilèrent après l’échec public et considérable de sa sortie, le film m’apparaîtrait aussi lumineux, mordant, magnifique, enchanté que les autres réalisations de son auteur.
Patatras ! C’est aussi raté que dans mon souvenir, davantage encore, même peut-être, puisqu’il n’y a plus là les excuses de la déformation des intentions du metteur en scène.
Dans un supplément, Marcel Ophuls dit du film qu’il était de commande, mais admet tout de même que beaucoup de libertés avaient été permises à son père. Certes, les producteurs avaient imposé la plus grande vedette française de l’époque, Martine Carol, là où Ophuls voyait Claudette Colbert ; mais, somme toute, pour jouer un personnage aussi friable, fragile, incertain, capable de sécheresses et de caprices, pourquoi pas ?
Et puis, tant d’autres fées s’étaient penchées sur le berceau ! Histoire tirée d’un roman de Cécil Saint-Laurent, l’heureux papa de Caroline chérie, adaptée par Annette Wademant et dialoguée par Jacques Natanson, avec des décors de Jean d’Eaubonne et une musique de Georges Auric, une distribution internationale de talent (Peter Ustinov, Anton Walbrook), on avait là à peu près ce qui se faisait de mieux sur le marché…
Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître la patte de Max Ophuls dans dix scènes formidables, dans des chatoiements de couleurs extraordinaires (et c’était pourtant là le premier – et seul – film qu’il ne tourna pas en Noir et Blanc), dans des mouvements de caméra sublimes et d’une originalité folle ; la virtuosité de la mise en scène est toujours aussi présente.
Et pourtant, ça ne marche pas ; je conçois que les spectateurs de 1955 aient pu être décontenancés par cette chronologie bouleversée, ces constants retours en arrière, ces syncopes de réalisation qui peuvent surprendre, quelquefois agacer ; mais nous sommes aujourd’hui suffisamment familiers de ces procédés de style pour, bien au contraire, les apprécier et y voir des audaces bienvenues…
Seulement, ça n’accroche pas, ça demeure formel, extérieur, légèrement ennuyeux, même : pas un seul instant on ne parvient à se passionner pour le sort de cette petite fille délaissée et presque vendue par sa mère, qui entreprend une carrière galante époustouflante, couche avec la moitié du grand monde d’Europe (tout autant, ici et là, avec des coups de cœur fugaces), et finit, à la Nouvelle-Orléans en pauvre victime cardiaque, montrée dans un cirque en phénomène de foire.
C’est quelquefois pathétique, c’est souvent burlesque, ce n’est jamais tragique, de ces tragédies qui rendaient si poignantes les histoires de Lisa Berndle, dans Lettre d’une inconnue ou Madame de… Même s’il est vrai que Joan Fontaine ou Danielle Darrieux étaient de tout autres comédiennes que Martine Carol, ça n’explique pas ce ratage grandiose…