Que La révolution dévore jusqu’à ses enfants, on le sait depuis Danton, et que ce Moloch jamais rassasié, ce brasier qui a toujours besoin de nouveaux combustibles ait dévoré en ne s’en satisfaisant jamais les meilleurs de ses combattants, on le savait, en assistant, assez fasciné, à cette catastrophe. Mais davantage que dans des films qui montrent plus particulièrement la stupéfaction, la surprise, le désenchantement, L’aveu explore de façon presque clinique, en tout cas distante et maîtrisée la folie de ceux qui prétendent changer la vie, c’est-à-dire changer la nature humaine…
S’il y a, à mes yeux, un quart d’heure de trop, qui en ralentit le rythme, L’aveu est un grand film, peut-être meilleur encore que Z, qui est plus romanesque ; l’enfermement, la folie kafkaïenne, le sadisme ordinaire et constant des geôliers, l’aveuglement de ceux qui ont fait du Parti l‘horizon insurpassable de la pensée humaine et qui le tiennent comme une église à la fois parfaite et immanente (jolie contradiction dans les termes), tout cela est rendu avec une force extrême par Costa-Gavras, largement secondé par un Montand absolument bluffant, une Signoret d’autant plus crédible qu’elle avait largement partagé – et partageait en grande partie encore – les billevesées révolutionnaires, et une pléiade d’acteurs de second rang, mais de talent premier (Michel Vitold, Gabriele Ferzetti, Jacques Rispal, Jean Bouise, Michel Beaune et tant d’autres)…
Étrange sort que celui des Brigadistes, les Révolutionnaires de la guerre civile d’Espagne qui, à peu près tous, et alors que certains avaient encore fait davantage leurs preuves dans la lutte clandestine pendant les résistances au nazisme, se sont retrouvés suspectés, vilipendés, exclus de leur raison de vivre, la fidélité au parti et la Révolution, pendant les années d’après-guerre… L’aveu est le film de la déchéance d’Artur London, en Tchécoslovaquie, de ses brimades, humiliations, tortures, avilissements ; de façon plus cauteleuse, ce sont les mêmes procédés qui ont été employés, en France, contre d’authentiques soldats de la Révolution, André Marty, Charles Tillon, Auguste Lecœur…
L’Espagne, la défaite, en Occident, du marxisme révolutionnaire, aura été, assurément, une blessure irréconciliable, en même temps qu’un rêve romanesque ; dans la maison des London (Montand et Signoret, donc, compagnons de route ici réunis pour constater la faillite absolue de ce qui fut et resta – pour elle tout au moins – un idéal), il y a plein de photos de la guerre civile, le milicien frappé à mort immortalisé par Robert Capa, la buveuse de sang Ibbaruri (la Passionara), ou le défilé, à Barcelone, le 27 octobre 1938, des Brigades dissoutes par le Gouvernement républicain de Juan Negrin ; ceux qui combattirent n’y récoltèrent rien que la méfiance et l’aversion de ceux qui n’avaient pas pris les armes….