Savez-vous danser sur un volcan ?
Ce petit film superficiel et amusant est sorti sur les écrans parisiens le 28 septembre 1938, c’est-à-dire exactement à la veille de la Conférence de Munich, qui s’est tenue les 29 et 30 septembre et qui a abouti à cette reculade historique, à ce sursis dont les Démocraties n’ont pas même profité pour s’armer devant la Bête…
Il n’y a pas de hasard. De délicieux nanards comme celui-là, qui mettent en jeu, dans un cadre convenu, toute une panoplie de parasites sociaux, de viveurs, de gens du monde, d’aigrefins, de gigolos, de danseurs mondains, de diplomates douteux, ne sont pas rares dans le cinéma de l’Entre-deux-guerres. Mais celui-ci tombe particulièrement à pic.
Yves Mirande, à la fois ici scénariste et réalisateur, c’est un peu le Sacha Guitry du (très) pauvre, un Guitry qui n’aurait été qu’auteur de boulevard et un habile faiseur de mots ; Café de Paris n’est pas mal parce que les mots sont drôles, les silhouettes enlevées, les acteurs excellents ; mais ça n’est tout de même pas destiné à être vu, aujourd’hui, par tous les publics (c’est une litote !) et ça ne peut intéresser que ceux qui sont attirés, au choix, par l’époque de la réalisation, les anecdotes un peu vaines et artificielles et les trognes inoubliables du cinéma passé.
Ce qui est drôle, c’est que les rôles distribués ne reflètent pas tout à fait l’image traditionnelle qu’on a des personnages habituellement incarnés : Jules Berry, comme toujours, pérore en majesté, mais interprète un type plutôt sympathique, à cent lieues de l’abject Bathala du Crime de Monsieur Lange, et Pierre Brasseur, qui a toujours l’horrible gueule de petite gouape de Quai des brumes, n’est pas un bien grand salopard, seulement un petit rat crevé.
Cela étant, Carette ressemble à tous les titis sentencieux et goguenards qu’il a toujours composés, Jacques Baumer, commissaire de police profiteur de bonnes fortunes ajoute un peu de vice à sa lugubre figure, Marcel Vallée, inoubliable directeur de la Pension Muche, dans Topaze exhibe avec talent sa papelardise gluante, et Maurice Escande se colle à merveille dans la morgue et l’habit de soirée d’un aristocrate douteux.
L’intrigue, pour artificielle qu’elle est, est bien venue et son mécanisme habile ; le soir du réveillon, au Café de Paris, bel établissement à la mode, des fêtards de plusieurs (demi)-mondes et du monde tout court se croisent, se reconnaissent, engagent des affaires louches, se grisent de mots, de champagne et de jolies femmes. Lambert (Jacques Grétillat), rédacteur en chef d’une feuille spécialisée dans le chantage et la délation, La parlotte, dîne avec sa maîtresse ; il est détesté par à peu près tous les convives, qu’il a fait chanter, ou à qui il vient de refuser de ne pas dévoiler leurs magouilles et manigances.
Au douzième coup de minuit, les lumières s’éteignent, pour permettre aux couples, vrais et faux, de s’embrasser. Quand elles se rallument, quelques secondes après, Lambert a un couteau de service planté dans le dos. Qui a tué ? Je ne le conterai pas…
Danse sur un volcan, fatigue d’un vieux monde, éclat des lumières, gaieté des danses (musique, excellente, du grand Georges van Parys), élégances des compagnes et compagnons de la nouba.
Je le répète, le film sort le 28 septembre 1938. Moins d’un an plus tard…