Scénario habile, traitement passable.
Dans la bien nommée et mort-née collection Les Inclassables de Canal+ (où parurent aussi La Prisonnière de Clouzot et La Dixième victime d’Elio Petri), ce film du tout également inclassable Alain Jessua est un peu décevant, malgré un scénario ingénieux, intelligent, élaboré qui reçut, d’ailleurs, le prix correspondant au festival de Cannes 1967.
Il faut le regarder vraiment comme on regarderait des comics, avec leurs invraisemblances, leurs raccourcis, leurs outrances et ce qui est habile c’est que, précisément, le jeu intervient entre un auteur de bandes dessinées, Pierre Meyrand (Jean-Pierre Cassel), sa femme, dessinatrice, Jacqueline (Claudine Auger) et une espèce d’histrion richissime et infantile, Bob (Michel Duchaussoy) qui devient le héros d’une histoire inventée que, finalement, il va incarner (je sais ! voilà qui n’est pas très clair, mais vous n’avez qu’à regarder le film…).
La bande dessinée est d’ailleurs omniprésente dans le film ; il est vrai que dans ces années psychédéliques 66/67, elle quittait le monde des enfants pour arriver dans l’univers des adultes : Jean-Claude Forest avait lancé Barbarella qui fut portée à l’écran par Roger Vadim, sous les traits de Jane Fonda, et qui était inspirée du physique de Brigitte Bardot ; Guy Peellaert donnait Jodelle copie conforme de Sylvie Vartan et Pravda la survireuse de Françoise Hardy. C’est ce même Peellaert qui est l’inspirateur esthétique de Jeu de massacre et qui, de son trait assez particulier, brutal et coloré, met en images les péripéties du film.
Autre signal de ces années, où, après coup, de graves penseurs décelèrent avec évidence les prémisses de la folie 68, la musique de Jacques Loussier, qui transposait alors en jazz Jean-Sebastien Bach et, en guest star, Nancy Holloway, qui disparut corps et bien ensuite.
La plus grande partie du film se passe sur les rives du lac de Neuchâtel en Suisse ; qu’ont donc les lacs pour introduire, quand on les filme, un sentiment de décalage, qu’il soit léger (Le genou de Claire), romanesque (Le parfum d’Yvonne) ou dramatique (Funny games) ? Peut-être leur horizon bouclé, fermé, encerclé… Toujours est-il qu’ils infusent une étrange atmosphère, d’apparence paisible et de réalité anxieuse. Les meilleures séquences de Jeu de massacre sont celles qui se passent dans la calme civilité des rivages où rien de grave ne pourrait arriver, semble-t-il…
Seulement, le film est un peu poussif, met plus d’une demi-heure à décoller et à fixer son cadre et les personnages apparaissent caricaturaux ; pourtant les acteurs sont plutôt excellents, avec une mention spéciale pour Éléonore Hirt qui met dans son jeu beaucoup de charme et d’ambiguïté. Et puis il y a les scories de la boîte de strip-tease, la morne présence d’effeuilleuses fatiguées et notamment d’Anna Gaylor, égérie de Jessua avec la même constance dans la nullité qu’Orane Demazis dans les films de Marcel Pagnol…
En bref, un film bizarre, à ne pas forcément recommander…