De la difficulté pour le Diable de se faire ermite.
J’ai écrit ici et là trop de bien de l’immense talent de Claude Autant-Lara, pour pouvoir me permettre de déplorer ce très médiocre Franciscain de Bourges, pourtant tiré d’un sujet extrêmement fort. L’histoire d’Alfred Stanke, moine franciscain, infirmier dans la Wehrmacht qui contribua tant qu’il put à sauver des résistants du Berry, à tout le moins à atténuer les souffrances des pauvres torturés, était en effet un sujet en or, profond, intelligent, capable de susciter la réflexion sur les pauvres moyens et les pauvres courages des hommes.
Mais le film illustre la difficulté pour le Diable de se faire ermite. Autant-Lara à la réalisation, Pierre Bost et Jean Aurenche à l’adaptation et aux dialogues, c’est le trio sarcastique, méchant, cynique, cruel, même, souvent, qui a triomphé dans Douce, L’auberge rouge, La traversée de Paris, des films violemment agressifs, teigneux, narquois, des films aigres et même presque aigris (il faut être aveugle pour ne pas voir que l’Autant-Lara des dernières années et des déclarations à l’emporte-pièce est déjà tout entier dans son cinéma, le meilleur de son cinéma).
Et quand des types dont le fiel est la nourriture et la raison d’être passent au sirop, ça ne marche pas. Un peu comme lorsque Émile Zola, pour essayer de montrer à ses détracteurs qu’il peut écrire un roman chaste dans la série des Rougon-Macquart rédige Le rêve : c’est pénible, ridicule, vaguement choquant…
Le franciscain de Bourges est lourd, apprêté, pontifiant, redondant ; le film parvient à rendre exaspérante la pourtant belle figure d’Alfred Stanke, joué par un Hardy Krüger à la limite inférieure de la niaiserie et du caramel mou. Certes, et ce n’est pas mal vu, il aurait été absurde de placer de grands mouvements de super-héroïsme (comme il y a des super-héros) pour décrire l’action d’un personnage qui n’a rien de grandiose, sinon une foi chevillée au corps et une infinie compassion pour ses frères en souffrance (tout cela n’est déjà pas mal !) ; et le meilleur du film – ou le moins mauvais – est précisément l’incertitude, la faiblesse, la prudence d’un Stanke, homme tout à fait ordinaire, mais habité par une force qui le dépasse.
Comment reconnaître Autant-Lara dans ce robinet d’eau tiède ? Ah ! La fin des grands cinéastes n’est pas toujours reluisante… Le Duvivier de Chair de poule et de Diaboliquement vôtre, le Renoir du Testament du Docteur Cordelier et du Déjeuner sur l’herbe, le Carné de Terrain vague… quelles catastrophes… Mieux vaut, comme Jacques Becker, disparaître sur la perfection du Trou…
Et en plus Autant-Lara a fait pire : Les patates avec l’histrion Pierre Perret ; le degré zéro a été atteint…
———————————
On me dit Pourquoi Autant-Lara devrait-il être systématiquement féroce ?… On me dit Pourquoi n’être pas sensible à la compassion qui passe dans le film ?
Certes, je rejoins ceux qui admirent la vraisemblance du doux caractère d’Alfred Stanke, l’ouverture de son cœur, le ruissellement de charité, de bienveillance, si l’on préfère qu’il a offert aux captifs de Bourges. C’est une très belle figure de simple, placé dans une situation complexe. (Et quand j’écris simple, il n’y a, naturellement aucun mépris de ma part ; seulement, il ne faut pas oublier que Stanke est franciscain, ni bénédictin, ni dominicain, ni jésuite : la simplicité fait partie de la règle de Saint François d’Assise, elle est donc donnée majeure de la vie de Stanke).
Quant à la fin de parcours politique (si l’on peut dire) d’Autant-Lara, je ne vois pas en quoi il peut intéresser ; son dernier film date de 1977, son élection au Parlement européen, de 1989. Il n’y a pas d’autre interférence que celle que j’ai dite : l’aigreur de la vieillesse est déjà inscrite dans le sarcasme de la maturité.
Et donc, revenons à la question : Pourquoi Autant-Lara devrait-il être systématiquement féroce ? Tout simplement parce que son talent est la férocité. Essayez de concevoir Kubrick sans puritanisme, Renoir sans humanisme, Duvivier sans pessimisme… Et voilà que ça ne fonctionne pas, que ça ne se conçoit pas ! On peut bien toujours essayer de forcer sa nature (mon exemple sur Zola), on n’est alors plus soi.
Ce que je regrette, c’est que le beau et grave sujet du Franciscain de Bourges ait précisément été traité par le cinéaste le moins à même de l’illustrer.