On peut oublier…
William Karl Guérin qui est un des bons connaisseurs du génial réalisateur écrit, dans son Max Ophuls (Ophuls, et non Ophüls), paru aux éditions des Cahiers du cinéma, »L’approche de la guerre le révèle dangereusement las, à la limite de l’écœurement. Quelle place assigner à une vulgaire pochade comme De Mayerling à Sarajevo? Que révèle cet acte manqué ? (…) Ophuls se montre incapable de prendre en charge ce scénario grossier ».
Vulgaire pochade est un peu fort, mais il faut bien reconnaître qu’on ne retrouve pas grand chose du manieur inspiré des caméras dansantes, ni du fin observateur des intermittences et des contradictions des cœurs dans cet assez lourd pensum, qui n’a d’autre mérite que son titre, et l’évocation de l’évènement déclencheur de la fin d’un Monde, le 28 juin 1914, cet instant où le révolver de Prinzip fait éclater l’Ancien continent et le jette dans son suicide sidérant.
Le même Guérin écrit que De Mayerling à Sarajevo décrit une Autriche-Hongrie disparue dans le temps et dans l’espace, un royaume décimé au sein même de la mémoire par les turbulences de l’Histoire. C’est en tout cas ainsi que le film aurait pris tout son sens alors qu’on a l’impression qu’Ophuls n’est pas arrivé à placer son film au bon niveau, le centrant presque exclusivement sur l’intrigue sentimentale, ne la tissant pas avec la tragédie qui monte comme un orage du fond du ciel, tragédie qui balaiera l’Empire austro-hongrois et ouvrira à la porte aux horreurs qui ont, après 1918, ravagé l’Europe.
On pouvait concevoir le film comme le récit de cette sorte de malédiction qui a frappé les Habsbourg, la descendance et la parentèle de François-Joseph : son frère Maximilien, Empereur du Mexique, fusillé en 1867 par ses sujets révoltés, son fils unique Rodolphe, qui se suicide à Mayerling, donc, en 1889, sa femme Élisabeth (Sissi) neurasthénique, tuberculeuse, dépressive, inconstante, anorexique, assassinée à Genève en 1898, sa belle-sœur Sophie (la plus jeune sœur de Sissi) carbonisée en 1897 dans l’incendie du Bazar de la Charité à Paris, et donc son neveu, héritier du Trône, François-Ferdinand assassiné à Sarajevo. C’est une vraie tragédie grecque, d’autant que sur cette suite de malheurs privés se greffait la montée des périls et le futur éclatement d’un vaste ensemble qui était tant bien que mal parvenu à faire cohabiter des peuples d’une extrême diversité qui, au centre de l’Europe, n’étaient retenus par aucune barrière naturelle.
On sent à peine, dans le film d’Ophuls, le souffle qui aurait dû l’animer, sauf à l’instant où l’Archiduchesse Marie-Thérèse (Gabrielle Dorziat) dit à son beau-fils François-Ferdinand que Les Rois ne sont pas faits pour être heureux : ils sont faits pour régner. Exactement ce que, un peu plus d’un siècle auparavant on a dit à une autre Habsbourg malheureuse, la reine Marie-Antoinette.