La renommée du film de Marc Allégret a passé les années. On se demande bien pourquoi, malgré l’assez beau titre et la qualité de l’affiche. Rien d’autre qui puisse retenir l’attention de ce pathos plutôt niais, tiré d’un roman de Vicky Baum, qui fut autrichienne, puis étasunienne et a connu, jadis, un grand succès. Plusieurs de ses bouquins ont été adaptés au cinéma et ce même Lac aux dames a fait partie, me semble-t-il, des vingt ou trente (ou allez… cinquante) premières parutions de la collection du Livre de poche.
Il y a pourtant un charme – en tout cas un caractère – particulier dans les films réalisés autour d’un lac de montagne : en vrac Marianne de ma jeunesse, Le genou de Claire, Le Parfum d’Yvonne, Funny games : rien d’aussi différent, et pourtant une même atmosphère un peu oppressante, l’espace des eaux qu’on voit calmes mais qu’on sait pouvoir se déchaîner, l’horizon bouché par les sommets, un monde clos.
Allégret se sert un peu de cette esthétique de ciels fluides, de brumes, d’eaux noires, de clapot des barques. Mais l’histoire du jeune ingénieur réduit par la dureté des temps à s’embaucher comme maître-nageur d’une petite station chic du Lac de Constance (Jean-Pierre Aumont), qui, grâce à son visage d’ange et à l’harmonie huilée de sa musculature fait basculer le cœur de toutes les jeunes filles est trop niaise pour ne pas compenser, dans le mauvais sens, quelques belles images.
Il faut dire que la captation que j’ai faite du film, passé l’autre soir au Cinéma de Minuit, est très mauvaise, striée, presque inaudible quelquefois. Mais je crois que, même sans ces défauts flagrants, directement issus de la désinvolture habituelle des éditions René Château, il me serait apparu que le film est atrocement mal interprété, notamment par Jean-Pierre Aumont, dont le torse musculeux est à peu près le seul atout, et par Rosine Deréan, si charmante chez Guitry, et ici si mièvre. Michel Simon fait une pige, et parvient presque à ne pas se faire remarquer, ce qui est, d’une certaine façon, une performance.
Simone Simon est plutôt bonne, en revanche, dans la fantaisie et la légèreté, plutôt meilleure, à mon sens, que dans La bête humaine, qui fut son plus grand succès ; il est vrai qu’elle vivait alors une rencontre amoureuse avec Marc Allégret, fraîchement sorti de l’emprise d’André Gide.
Naturellement, alors qu’on pensait que ça finirait mal, ça se termine bien. Dommage. On attend souvent qu’un réalisateur nous refasse On ne badine pas avec l’amour, alors qu’il se contente généralement de nous réécrire Le Mariage de Mlle Beulemans.
Ah ! J’ai oublié de dire que les dialogues sont de Colette ; c’est parce qu’ils sont très oubliables… (Et à dire vrai, je me demande si tout l’œuvre de la vieille dame du Palais-Royal ne va pas quelque jour s’engloutir ; qualité d’écriture, certainement ; qualité d’écrivain, c’est une autre question…