J’ai eu la bizarre idée de commencer l’exploration du lourd et magnifique coffret Guédiguian (11 DVD, 15 films) reçu pour mes étrennes, par un des films qui ne font pas partie de habituelle pratique du réalisateur, et qui ont pour fond Marseille, ce qui reste du prolétariat, et pour acteurs, immuablement, Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan.
Bizarre idée, qui ne remet pas du tout en cause le plaisir que j’aurai, aux prochains temps, de commenter Marius et Jeannette, La ville est tranquille ou Marie-Jo et ses deux amours, d’évoquer l’Estaque, le boulevard Michelet, le glorieux Olympique de Marseille et le cours Belzunce.
Mais donc là, un film sans aucun rapport avec les docks, la brise marine, le mistral et les calanques. Un film tout entier consacré à un homme.
Que cet homme soit alors, et pour quelques mois encore Président de la République n’est pas sans importance, mais n’est pas si décisif que ça. Aucune ennuyeuse rétrospective, dans Le promeneur du Champ de Mars, de l’action du quatrième chef d’État de la Vème République, aucun jugement de valeur, ni d’appréciation des forces politiques en présence : c’est à peine si est évoquée la réalité, l’actualité ennuyeuse et fébrile : c’est la marche vers la mort évidente et annoncée d’un lettré qui a vécu une vie intense, grisante, éblouissante.
D’ailleurs, le film commence par deux éblouissements : le survol de la Beauce et de Chartres à la scansion des mots de Charles Péguy et la présentation des gisants de la basilique de Saint-Denis, nécropole des Rois de France. Celui qui va mourir, et qui le sait, se pétrit encore de la force et de la beauté de ce qu’il a aimé, sans doute de singulière façon, comme il a passionnément aimé le Pouvoir, avec orgueil, cynisme, distance, hauteur.
François Mitterrand aura été le dernier Président lettré de notre pays, sans doute, et même sûrement pour toujours (si, par malheur, l’agrégé de Lettres classiques François Bayrou était élu, en mai prochain, il ferait tout pour passer pour inculte, n’en doutons pas !) ; un Président qui avait le sens et le goût de l’Histoire et de la permanence des peuples, et celui de la transcendance, aussi (à la fin de son dernier message de vœux, le 31 décembre 1994 Je crois aux forces de l’esprit, et je ne vous quitterai pas !).
Du cinéma, tout ceci ? Et comment ! L’ivresse et la vanité du Pouvoir, la solitude du chef, la perspective de la mort douloureuse (et surtout de la perspective d’abandonner tout ça – ainsi que disait Mazarin,autre grand homme d’État -, c’est-à-dire toutes les beautés et les douceurs de la vie… Du cinéma, bien sûr, quand un réalisateur trouve un acteur aussi exceptionnel que Michel Bouquet, prodigieux de ressemblance, de force intériorisée, de sens du sacré et de sens du dérisoire…
Deux réticences, toutefois : l’ennui de l’anecdote sentimentale qui secoue le confident (Jalil Lespert) du Président, anecdote d’une banalité peu soutenable au regard de la lente agonie du vieil homme (mais, après tout, c’est peut-être voulu, cette juxtaposition), et la trop lourde insistance sur le passé trouble, ou prétendu tel de François Mitterrand, regard vertueux, donc agaçant.
Un vieillard hédoniste, ambitieux, secret, cynique et profond meurt devant nous, désespéré, à sa façon, de n’être parvenu au faîte de l’État qu’à l’heure où l’action politique n’avait plus d’existence, avait disparu, noyée par l’omnipotence du Marché et des multinationales. Il aurait été un parfait Capétien.