On comprend fort bien qu’après avoir réalisé ce film de commande où il dut supporter tout le poids du système hollywoodien, Stanley Kubrick ait décidé de voler de ses propres ailes et de ne jamais plus se soumettre à quelque diktat ou influence que ce soit.
En effet comment retrouver la patte du plus inspiré des réalisateurs, de celui qui a su tourner et réussir dans tous les genres cinématographiques dans ce peplum nullement désagréable, malgré sa longueur et qui serait même plutôt bien fait, eu égard aux standards du genre ?
Kubrick attachait une sorte de soin maniaque à l’illustration musicale de ses films, et là, nous avons une partition d’une grande banalité, emphatique, claironnante, ennuyeuse, d’où ne surnage aucun thème majeur et qui s’englue dans le marshmallow et le caramel mou aux moments d’émotion. C’est écrit par un nommé Alex North, compositeur fécond de musiques parfaitement oubliables, simples accompagnements des images et non parties essentielles de la qualité d’un film. Pas une ligne mélodique qu’on retienne, pas une des fulgurances qui marqueront les films ultérieurs de Kubrick, pages empruntées à la musique classique ou compositions originales (de Wendy Carlos, par exemple).
Autre chose : l’éparpillement des vedettes, la multiplication des stars, vieux truc hollywoodien qui dilue l’attention au bénéfice des physionomies et interdit la concentration sur le seul travail du réalisateur ; tout le monde est excellent, dans Spartacus, même Kirk Douglas et presque Tony Curtis et il y a quelques magnifiques numéros de Laurence Olivier ou de Charles Laughton, qui font le job et parviennent presque à effacer le trémoussant, outré et presque ridicule Peter Ustinov, souvent mieux distribué.
Rien de Kubrick, dans Spartacus ? Bien sûr que si, pourtant ! Les effets de foule, les batailles, certaines prises de vue et certains ciels d’orage, la capacité à entraîner le spectateur dans les méandres d’une histoire plutôt convenue…
Je m’étonnerai (faussement) toujours que l’usine à fric d’Hollywood présente habituellement, avec les apparences de la vertu, des récits et des idées censément très éloignés de ses propres critères et que chacun prête la main à cette opération de mystification : tout autant Howard Fast, l’auteur du roman dont est tiré le film, que Dalton Trumbo, son adaptateur, étaient réputés pour être de grandes consciences de gauche et durent subir les rigueurs du maccarthysme : l’histoire de Spartacus est un vibrant plaidoyer humaniste (mais, accordons-le, moins manichéen qu’on aurait pu le craindre), et tout cela, pourtant, ruisselle d’argent et sent le film à gros budget… Hommage du vice rendu à la vertu ? Allez savoir !
Si Kubrick avait pu réaliser son propre film, et non pas tourner le film de ses producteurs, il aurait pu se pencher, plus intelligemment, sur l’énigme de cette société policée, intelligente, créatrice de l’Ordre civilisateur, et qui se complaisait avec tant de fascination pour des égorgements d’une cruauté peu imaginables. Cette dialectique, ou cette schizophrénie-là auraient dû être le ressort du film, au lieu d’une bien banale jacquerie humaniste…
Mais ouf ! Kubrick allait sortir du carcan…