Même si la copie était convenable…
J’aimerais suivre et approuver les talentueux plaidoyers de ceux dont l’enthousiasme pour le film est bien troussé, bien argumenté et, d’une large façon, communicatif. Ils ont en tout cas bien raison de défendre le grand cinéma hollywoodien d’antan et ses illustrations parfaites qu’étaient Gregory Peck et Ava Gardner. Aux lendemains de la guerre, la figure mythique des stars du cinéma d’Outre-Atlantique était à son inégalé sommet, et n’avait rien de fabriqué, ni de cosmopolite comme l’est la gloire de bon nombre des produits d’aujourd’hui. On avait un peu l’impression, à tort ou à raison, que c’étaient là des demi-dieux (et de bien somptueuses déesses).
Mais sans être aussi négatif que ceux qui jugent trahie la nouvelle d’Hemingway, qu’ils admettent ou non honnêtement s’être laissé influencer par un agacement de nature littéraire, sans passer Les neiges du Kilimandjaro en dessous de la ligne de flottaison, je les rejoins néanmoins globalement.
J’ai un peu de scrupules à le faire, parce que je n’ai vu que l’ancienne édition DVD, qu’on peut trop aimablement qualifier de médiocre. Édition certes à tout petit prix, trouvée dans un bac de soldeur, mais édition infâme, aux tonalités délavées, et pire, scandaleusement pisseuses. Là où les couleurs d’Afrique, l’éclat des corridas, la bohème parisienne de la Génération perdue, la Côte d’Azur lumineuse et encore presque préservée doivent, au moins, permettre de belles images, je n’ai guère vu que de la grisaille.
Je doute, pourtant, qu’une édition de simple qualité normale m’aurait conduit aux sommets ; d’abord parce que trop de scènes sentent le studio, même lorsqu’elles se passent dans les endroits les plus colorés et qu’Henry King abuse des transparences, ce qui est toujours assez agaçant.
Puis parce que ce n’est pas assez rythmé, qu’il y a bien vingt minutes de trop, et qu’un montage plus vigoureux, un récit plus resserré auraient bien davantage servi le film que ces méandres langoureux dans quoi il se perd souvent. C’est assez curieux parce que, bien qu’il soit fréquemment verbeux, le film recèle quelques échanges étincelants, des dialogues drôles et cyniques de la meilleure eau (Harry – Gregory Peck – quand il découvre Cynthia Ava Gardner : Un rire comme le sien ne peut mener qu’à la bagarre).
Ava Gardner est d’ailleurs, si je puis dire, le meilleur du film et la puissance de séduction qu’elle déploie, lors de la soirée chez Émile (notre vieille connaissance Marcel Dalio) est absolument bluffante. Au delà d’être une actrice sensible et intelligente, elle disposait d’une puissance de feu rarement égalée. Le plus bel animal du monde, comme on l’appelait élégamment sauverait à elle seule le film si elle n’en disparaissait pas trop tôt…
Enfin, que dire d’un film dont on n’attendait pas grand chose et qui est tout de même trop plein de hasards bienveillants et de coïncidences pour être bien honnête (ainsi, pendant la guerre civile espagnole, lors d’une sanglante bataille, Teruel ou Brunete, où les deux amoureux se retrouvent par la plus pure des chances…) ? On ne pense pas qu’on a tort de l’avoir regardé, mais on l’oubliera bien vite…