Dernier été

Et hop ! C’est parti !

Déduction faite du Promeneur du Champ de Mars, qui ne fait pas partie de l’orientation habituelle de Robert Guédiguian, je commence l’exploration du gros coffret qui en présente l’intégrale jusqu’en 2008 ((11 DVD, 15 films) et je ne trouve pas plus idiot qu’autre chose de commencer par le début, ce qui va me permettre, au fil des semaines d’apprécier l’évolution du style du réalisateur et de ses interprètes fétiches, puisqu’Ariane Ascaride et Gérard Meylan ont été là dès l’origine.

Dernier été, à part cette évidence, offre l’avantage presque ethnographique de capter l’évolution sociologique, démographique, industrielle, délictuelle de la deuxième ville de France et mieux encore de ce microcosme étrange qu’est le quartier de l’Estaque.

Le film est présenté, de manière très subtile, par un journaliste de L’Humanité, qui rappelle très opportunément que Marseille est une juxtaposition de villages répandus sur une très grande surface (850.000 habitants sur 240 Km2 alors que Paris en compte 2,3 millions sur 105 Km2), des villages séparés les uns des autres par le relief, mais aussi par des routes, des zones industrielles, des friches, etc.

L’Estaque présentée dans Dernier été apparaît, d’abord, comme un petit paradis, plein de placettes à fontaines ombragées comme on en voit tant en Provence, petit paradis que l’on regagne au soir, après la journée de travail pour retrouver de vieux potes. On a bossé durement dans les gros chantiers de la réparation navale, on a le bleu de travail maculé de cambouis et le soleil et la poussière ont donné cette soif qu’on ne peut apaiser qu’avec de grandes quantités de pastis (du Casanis ou du 51 ; jamais de Ricard, qui ne se boit guère qu’au nord de Montélimar). On blague avec les filles, on s’engueule un peu avec les parents, on fait des virées.

Mais assez vite ce monde bon enfant montre d’autres aspects moins sympathiques et on s’aperçoit que les quatre copains qui s’incrustent à la terrasse du Bar du Centre vivent essentiellement de petits trafics, piquent des bagnoles, vendent des cigarettes de contrebande et peuvent se montrer bien peu aimables avec ceux dont la tête ne leur plaît pas, lorsqu’ils descendent en ville, c’est-à-dire aux alentours du Vieux Port.

Et au milieu des jours paisibles et amoureux où se découvrent Gilbert et Josiane (Gérard Meylan et Ariane Ascaride), la petite connerie de plus entraîne le drame.

Ces deux acteurs-là sont miraculeux de justesse, alors qu’ils entament à peine leur carrière ; les dialogues sont si justes, les silences si bien posés, les regards si exacts qu’on entre sans peine dans ces histoires de petits trafics de petits voyous, qu’on s’assied avec eux à l’ombre des platanes ou au soleil des criques désertes… Si quelque chose m’a donné envie de regarder du Guédiguian, c’est bien cette capacité d’empathie, cette faculté rare de capter la réalité et de la transmettre.

La réalité de 1980, bien sûr ; il n’y a pas encore la violence anomique, les bandes ethniques, la drogue et l’économie parallèle si rémunératrice qui font des cités de Marseille des camps retranchés ; les petits voyous de Dernier été roulent en camionnette ou en Renault 8. Ni Porsche, ni BMW. Pas de loques humaines, de seringues. Pas encore.

Ce qui suivra nous dira la suite. Qui ne sera pas bien gaie.

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