Revu tout à l’heure, et toujours cette drôle d’interrogation : est-ce que ce n’est pas un film tout d’esbroufe, grinçant, simplement porté par une drôle d’idée sardonique ou est-ce que c’est un peu davantage ?
Je serais assez tenté ce soir de trouver le film assez limité, parce que, malgré sa brièveté (moins d’une heure trente), ça traîne un peu à la fin et que, dès lors qu’on a compris que la drôle de famille Rousseau a voué sa journée à l’exécution capitale des jurés qui ont condamné à mort le dernier né, on attend simplement la suite. En plus le vengé est une sorte de poussah gluant, à l’œil vide et à la joue grasse dont la photo est brandie devant l’assassiné à chaque trépas, mais dont ne sait pas ce qui a pu conduire un jury à lui faire couper le cou…
Les histoires de suppressions successives et systématiques sont légion, au cinéma, de Noblesse oblige à La mariée était en noir, sans même évoquer les collections horrifiques hollywoodiennes du type L’Abominable Dr Phibes ou Seven ; elles ne valent souvent que par l’ingéniosité des procédés employés, adossée à une idée originale.
Ces conditions particulières ne sont pas le meilleur du film réalisé par Jean-Louis Trintignant, qui vaut davantage par la cavalcade élégante menée calmement par les tueurs. Au son des notes guillerettes, narquoises, du musicien Bruno Nicolai, habitué des compositions de giallos ou des amples mesures de la Cantate de Pâques de Bach, le side-car est conduit sans frémissement ni émotion par les anges exterminateurs, (qui font songer irrésistiblement aux motards qui accompagnent la Mort (Maria Casarès) dans l’Orphée de Jean Cocteau. Cela se passe dans les paysages toujours un peu réservés du Languedoc gardois, entre les étendues plates soufflées par la mer de la côte et l’austérité de la garrigue, avec de temps à autre, le vaste balancement équilibré des voûtes de platanes ; c’est une terre moins souriante, moins charmeuse que celle qui est de l’autre côté du Rhône, c’est la terre où Agnès Varda a tourné Sans toit ni loi : on ne s’étonne pas qu’elle soit marquée de calvinisme.
On a beaucoup écrit que le grand talent et le physique singulier de Jacques Dufilho avaient trouvé leur épanouissement majuscule dans l’adaptation réalisée par François Leterrier du Milady de Paul Morand ; mais on peut classer aussi sa composition d’Une journée bien remplie au meilleur rang : un rôle insolite, presque sans parole, avec col cassé, lunettes de moto archaïques et casque de toile blanche, une fable grimaçante, souvent empreinte de sadisme…
Un film étrange, à l’identité mal identifiable, un des objets cinématographiques singuliers qui sont des pierres rares dans l’histoire du septième art.