Jubilatoire !
Comme l’expose avec talent Frédéric Bonnaud, journaliste aux Inrockuptibles, dans l’introduction du DVD, Robert Guédiguian a tourné À l’attaque ! pour répondre avec esprit aux critiques qui avaient suivi Marius et Jeannette. Après le grand succès public et critique de ce film, certains, non sans pertinence, avaient un peu tordu le nez devant la recette Guédiguian : des mélodrames ouvriéristes tournés à l’Estaque, quartier pittoresque de Marseille, avec la même bande d’acteurs et des scénarios qui se répétaient jusqu’à s’entre-copier.
Mais la meilleure façon, la plus spirituelle en tout cas, de démonter le reproche, c’est de s’en emparer, d’en rire avec plaisir, d’en reconnaître l’exactitude… et de persévérer en se caricaturant. D’où À l’attaque ! qui est gai, drôle, excellent et qui constitue une des meilleures réussites du cinéaste.
Procédé classique du « film dans le film » : deux scénaristes en recherche d’inspiration (Denis Podalydes et Jacques Pieiller) décident d’écrire un film politique » et prennent pour toile de fond l’Estaque, le garage Moliterno, les rapports difficiles entre le brave petit peuple industrieux et les requins de la finance (avec leurs chiens de garde de la classe moyenne) et tout le tremblement.
La petite famille du garage Moliterno, c’est évidemment la bande habituelle : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan au premier plan, comme de coutume, à qui on pourrait ajouter Jacques Boudet (et Pascale Roberts qui tient un très petit rôle), mais aussi de plus récents arrivants dans la troupe, Patrick Bonnel, Frédérique Bonnal, la ravissante Laetitia Pesenti. Une famille d’immigrés italiens qui survit avec vaillance et se porterait même bien si Moreau, l’avide patron (Pierre Banderet) d’un de ses principaux clients, la société véreuse Eurocontainer ne la plaçait pas dans une situation impossible vis-à-vis des banques en ne payant pas ses dettes et en organisant sa liquidation judiciaire.
Au gré de courtes séquences construites au fur et à mesure que les scénaristes imaginent l’histoire, la détricotent, la complètent, y introduisent de nouveaux personnages ou de nouveaux comportements, se chamaillent et se convainquent, l’intrigue d’A l’attaque ! garde, malgré les soucis qui s’accumulent sur les braves gens un allégresse, une joie de vivre, un ton de comédie absolument délicieux. C’est narquois, sarcastique, gouailleur sans jamais être méchant ou tragique. C’est, comme l’a baptisé Guédiguian, un Conte de l’Estaque ; on pourrait tout autant dire une fable et presque une allégorie.
L’arrière-plan social et politique, toujours présent dans les films du réalisateur, se fait là moins pesant, ou plutôt moins amer. On n’y parle plus du passé enfui et des espérances trahies de la révolution prolétarienne. Par le biais de la pure fiction – celle qui est écrite devant nous par les scénaristes – on entre de plain-pied dans la réalité des gens qui se tiennent les coudes et se tiennent très fort serrés dans l’amour, dans l’amitié, dans l’espérance…
Film adorable, charmant, sympathique au delà de tout. Je ne pensais pas pouvoir un jour qualifier ainsi un Guédiguian !