Ces messieurs de la Santé

ces_messieurs_de_la_sante02Roublardises.

Eh bien j’ai passé un moment très agréable en regardant ce film de second rayon capté au Cinéma de minuit et je ne l’ai pas trouvé si confiné que ça. Il me semble au contraire que la parcimonie grippe-sou, l’étroitesse d’esprit, la rapacité, le paternalisme sourcilleux de la vertu des employées, la vertu facilement outragée de Mme Génissier (Pauline Carton, épatante et, pour une fois davantage mise en valeur par un rôle consistant) sont particulièrement bien dépeints par l’atmosphère tout à fait confinée de la boutique de corsets qu’elle dirige en maîtresse absolue dans l’alors sombre Palais Royal.

Ce petit commerce confiné des boutiques d’antan, nous le retrouvons chez le Baudu de Au bonheur des dames, vers 1860 ; chez le bijoutier Rémy de Madame de, vers 1900 ; chez les merciers Raquin de Thérèse Raquin, dans la transposition qui situe le roman de Zola vers 1950. Arrières boutiques étroites, absence de lumière et d’air, éclairage au gaz ou au minimum électrique. Rien d’étonnant dans la sensation d’étouffement.

ces-messieurs-de-la-sant-ii03-gMais, et c’est là où je trouve intéressante et habile la réalisation de Pierre Colombier, dès que ce coquin de Taffard/Gédéon (Raimu), après avoir gagné la confiance des boutiquiers, s’empare des rênes de la maison et la fait incroyablement prospérer, le décor change : la boutique obscure devient un clair magasin de lingerie où se presse la clientèle, grisée par la publicité (encore appelée la réclame) et par la variété des articles vendus (c’en est d’ailleurs fini des pudeurs de Mme Génissier, qui ne voulait pas même voir de soieries dans son échoppe honnête ; dans le nouveau magasin, les rayons sont clairement indiqués, jusqu’à celui des cache-sexe). Et, lorsque l’affaire prend vraiment une dimension considérable, c’est dans une banque dont les bureaux se trouvent dotés de ce qu’il y a de mieux que se transporte l’action : le bureau pivotant de Gédéon, le coffre-fort gigantesque dont la porte donne accès à un bar bien fourni, l’abondance des téléphones, etc.

L’intrigue est juste ce qu’il faut usée pour avoir le confort des habits qu’on aime : un requin de finance – qui n’est pas un escroc ordinaire – évadé de la prison de la Santé, s’introduit dans une maison de commerce rancie, gagne la confiance de tous et, par des placements et tripotages habiles, la fait accéder à la fortune. Quand il est démasqué, la Vertu s’offusque un peu, mais trouve que l’aisance matérielle est tout de même une chose bien agréable et passe d’autant plus facilement sur ses scrupules que leur bienfaiteur est finalement innocenté, au prix d’un tour de passe-passe qui permet une fin morale….

Ces messieurs de la sante (10)Enfin… pas si morale que ça. Car la ravissante femme (Edwige Feuillère, absolument superbe) d’Hector Génissier, sorte de gentil crétin seulement préoccupé de turf (Pierre Stephen, qui joue toujours avec talent les rôles d’imbéciles et de dupes – voir Compartiment de dames seules) se promet de cocufier considérablement son mari avec Gédéon (Raimu), à la seule réserve qu’elle le partagera avec Ninon, la petite secrétaire gironde de l’homme d’affaire (Monique Rolland). C’est tout de même assez crapoteux, non ? En tout cas un peu davantage que ce qu’avait été la fin larmoyante du Bienfaiteur, d’Henri Decoin où, en 1942, Raimu jouait aussi le rôle d’une fripouille sympathique, dispensatrice de prospérités diverses.

Il est évident que si le grand Jules n’avait pas figuré en tête d’affiche, on ne parlerait plus aujourd’hui de Ces messieurs de la Santé, malgré la qualité du reste de la distribution, très en verve. Il est également clair que le film surfait sur la vague d’un vaste rejet des affairistes, des banques, des boursicoteurs, des coquineries, escroqueries, filouteries que la République radicale avait érigé au rang de principes intangibles. S’appuyant sur un antisémitisme plus narquois (et même complice) qu’agressif et sur l’insouciance aveugle des Années 30, celle de Tout va très bien, madame la marquise et de Amusez-vous, foutez-vous de tout, Ces messieurs de la Santé est un témoignage bien intéressant sur la course à l’abîme, finalement…

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