Le gang des pianos à bretelles

Dans le mille, Mimile !

Cette histoire laborieuse de rivalités entre bandes de voyous pour s’approprier les bijoux d’un gala musical n’a évidemment d’autre objectif, ni d’autre intérêt que de proposer aux spectateurs éblouis des salles obscures qui existaient encore dans les bourgs de notre pays en 1953 les prestations mélodieuses de l’accordéoniste Émile Prud’homme.

On a peine à s’imaginer, aujourd’hui, ce que pouvait être la ferveur populaire pour cet instrument né au 19ème siècle, confiné aux campagnes jusqu’aux années Trente où il est devenu, avec les bals musette et le Front populaire, une sorte de symbole bon enfant et sympathique.

 Sa période de plus grande faveur a correspondu avec le baby boom, étrangement. C’est l’époque où Yvette Horner accompagne, de 1952 à 1963, la caravane du Tour de France ; elle y est presque aussi populaire que les champions, surtout ceux qui ont du caractère et du panache, comme Jean Robic (dit Biquet) qui fait d’ailleurs une très très courte apparition dans Le gang des pianos à bretelles. Mais il y a aussi André Verchuren, Aimable, Marcel Azzola et des centaines d’autres, qui animent les bals populaires et vendent des millions de disques où ils interprètent les succès du moment.

Mais leur fonds de commerce principal, bien sûr, c’est le musette, les valses, pasos-dobles, marches et tangos brodés d’acrobaties mélodiques et enjolivés de triolets. On aime ou non. On n’est pas, en tout cas, dans l’accordéon d’aujourd’hui, celui de Marc Perrone, par exemple, qui a si magnifiquement composé une musique pour le muet A propos de Nice, de Jean Vigo.

Revenons à nos moutons, et à ce petit, tout petit film réalisé par Jacques Daniel-Norman, auteur du catastrophique 120, rue de la Gare… Ça ne vaut pas tripette, Jean Tissier, qui peut être si excellent (L’assassin habite au 21, Au bonheur des dames, Papa, maman, ma femme et moi) y est aussi insignifiant et même exaspérant que dans… je ne sais pas, moi… Brigade des mœurs, par exemple. Ginette Leclerc, bien loin de La femme du boulanger et du Corbeau, y fait une pige. Quant à Georges Poujouly, tout juste sorti du chef-d’œuvre qu’est Jeux interdits, il est extrêmement agaçant. On remarque aussi un truc totalement invraisemblable : Paul Demange, qui toute sa vie a été confiné aux rôles de roquet pétaradant et irascible, interprète le chef d’un syndicat de gangsters étasuniens ; s’exprimant, comme il se doit, en anglais, il est d’ailleurs doublé, ce qui renforce l’impression d’étrangeté.

Rien que pour ces bizarreries, je ne regrette pas d’avoir passé un peu moins d’une heure et quart à m’étonner qu’un tel film ait pu exister. Le clou est l’interprétation, par 40 accordéonistes conduits par Émile Prud’homme d’une des Danses hongroises de Franz Liszt ; car le grand drame de ces grandes vedettes du musette est de ne jamais avoir été prises au sérieux par les amateurs de musique classique et d’avoir tous rêvé de forcer le barrage de leur mépris.

Ah ! oui aussi : une bagarre entre une troupe de malfrats et de pétroleuses dont les filles d’Ève se sortent à leur avantage grâce à leur pratique approfondie du jiu-jitsu. C’était à la mode à cette époque et je me souviens de m’être indigné lors du visionnage de la bande-annonce de Les pépées font la loi, de Raoul André, où les exploits féminins révulsaient mon machisme de garçonnet. La bagarre donne d’ailleurs une prime, dans Le gang des pianos à bretelles : dans la mêlée, les jupes se relèvent et un corsage est arraché, ce qui donne au spectateur de 1953, la sensation d’entrer vraiment dans le monde des gangsters internationaux.

Leave a Reply