Memories of murder

 Pluie d’enfer.

Je m’étonne moi-même d’avoir tant apprécié un film qui se déroule dans cette invraisemblable contrée pluvieuse et – d’après tout ce que j’en ai vu – d’une mocheté à faire peur. Mais il me semble que la Corée, sans doute dotée de moins de codes civilisationnels que le Japon, à nos yeux d’Occidentaux, m’est plus proche que son voisin oriental, plus accessible en tout cas, et que cette épatante histoire de serial killer traqué par des policiers dépassés par l’événement aurait pu se passer un peu partout dans notre monde.

Je songeais, après avoir vu le film, à bon nombre d’affaires irrésolues dans notre pays : l’assassinat du petit Grégory Villemin, à Lépanges-sur-Vologne, il y a près de vingt ans, ou la disparition d’Estelle Mouzin, à Guermantes, il y a dix ans. Non que j’impute à tous les policiers et gendarmes qui ont jusqu’à présent échoué à faire surgir la vérité les mêmes balourdises que celles que collectionnent les flics Park (Song Kang-ho), le villageois et Seo (Kim Sang-kyung), le citadin. Mais j’ai entendu l’autre jour un criminologue indiquer que la moitié des crimes restent impunis (et d’ajouter, d’ailleurs, que les crimes constatés ne constituent que moitié des crimes commis) ; on a beau se moquer, dans Memories of murder du manque de professionnalisme (les scènes de crime dévastées par négligence ou ignorance), des recherches qui n’aboutissent pas, des fausses pistes sur lesquelles les flics s’engagent en toute bonne foi, mais souvent avec niaiserie (le débile à la joue brûlée, le frustré qui se fait des gâteries à la vue de sous-vêtements féminins), on est tout de même glacé devant l’habileté du tueur, sa détermination et le manque de pot de ses poursuivants.

Girl in RainAu contraire de certains, j’ai beaucoup apprécié le contraste violent, ironique et cruel entre les scènes anxiogènes de découverte des cadavres abimés, violés, martyrisés (et, naturellement, les scènes de suspense où l’assassin guette ses proies) et celles purement grotesques où les policiers se vantent, se trompent, se toisent, se hérissent, errent comme des moutons aveugles sur des chemins incertains. Cette discordance apporte beaucoup d’humanité, sinon d’humanisme à une intrigue drôlement bien montée, souvent en très grande tension. Exaspération des flics et de leur hiérarchie, découragement, lueurs d’espérances, perspectives ouvertes… et retours à zéro, plus difficiles et plus crispants à chaque fois.

Jusqu’à l’image finale, qui intervient plusieurs années après les faits relatés et qui marque en fouaillant vicieusement l’imaginaire : dans le même espace-temps, gibier(s) et chasseur(s) se sont frôlés, toisés, jaugés. Et c’est le fou meurtrier qui a gagné la mise. Pour toujours. Aucun indice, aucune piste à rouvrir. On sait que l’horreur, tangible, perceptible, concentrée dans ce regard d’évacuation d’une rizière est passée là. Et qu’on ne pourra jamais y mettre fin.

Un film passionnant.

Leave a Reply