Faut jamais revenir !
Au milieu des années 50, au moment où la grande prospérité se préparait, la France a découvert qu’elle avait une jeunesse. Je dis bien Une jeunesse, et non pas simplement Une enfance, tranche d’âge déjà bien connue au cinéma et montrée avec virulence (Zéro de conduite), tendresse (Les disparus de St-Agil) ou niaiserie (La cage aux rossignols). Une jeunesse et, tant à faire, une jeunesse à problèmes.
Certes, il y avait eu, en 42, Les inconnus dans la maison ; mais le film de Decoin, adapté de Simenon présentait les adolescents paresseux comme des anomalies spectaculaires et braquait le projecteur bien davantage sur les défaillances des adultes. En 55 Jean Delannoy tourne Chiens perdus sans collier sur les jeunes délinquants : c’est encore une mise en situation de comportements hors norme.
Puis tout s’accélère : si Les Quatre cents coups en 59, Boulevard, en 60 (avec le même Jean-Pierre Léaud) ne concernent finalement qu’un seul gamin qui fait éclater son mal de vivre dans une famille dépassée, Les tricheurs, en 58 a stupéfait le public en présentant une jeunesse argentée qui boit et qui couche sans modération. Marcel Carné, qui a connu avec le film un immense succès – au moins de scandale – récidive en 60 avec un Terrain vague consacré aux blousons noirs, pendant populaire des Tricheurs. Et le sujet est dans l’air, puisqu’Asphalte exploite un peu la même veine, présentant des voyous à peine plus âgés, rangés des voitures, et retrouvant « quatre ans après » Nicole, une des filles de la bande, désormais mariée à un riche industriel allemand et qui, de passage à Paris, revoit presque fortuitement son ancienne bande. (J’ajoute que le réalisateur, Hervé Bromberger, a encore exploité le filon, avec Les loups dans la bergerie, l’année suivante).
Le scénario d’Asphalte est de Jacques Sigurd, l’auteur des films les plus noirs d’Yves Allégret (Manèges, Une si jolie petite plage) ; je dois dire qu’on ne retrouve pas sa patte vénéneuse et accablante dans le récit un peu convenu de cette jolie femme, bien mariée avec un type formidable, élégant, intelligent, amoureux, remarquablement interprété par Massimo Girotti, qui déclenche assez sottement des catastrophes par son retour au milieu de sa bande. Les jalousies et les antagonismes ne se sont jamais éteints, et puis Nicole (Françoise Arnoul) est riche, désormais, est belle, mais s’ennuie un peu de la vie d’hôtels de luxe (Le Crillon, place de la Concorde) et de dîners d’affaire (à La Tour d’argent) que son mari lui fait mener. Ça ne se finit pas très bien pour les garçons de la bande, notamment pour Gino (Marcel Bozzuffi). Nicole redécouvrira l’amour de son mari. Elle a pas mal dévasté de choses et, comme Michel (Jean-Paul Vignon), son amoureux transi, lui glisse Faut jamais revenir : on se fait du mal et on en fait aux autres.
Ça, c’est sûrement du Sigurd : on ne se penche pas comme ça sur son passé…