Intéressant petit conte philosophique.
J’ai lu je ne sais où que Peter Weir conteste absolument avoir été inspiré par l’étrange, admirable, inquiétante série Le Prisonnier et avoir puisé autre part ses idées. Pourtant c’est un peu le même monde, doucereux, suave, acidulé, hypocrite, à pelouses impeccables, à voisins sympathiques et à interjections joviales, à chevelures impeccablement permanentées. Une sorte de monde idéal sans aspérité. Un peu comme dans Pleasantville aussi d’ailleurs.
Certes, le Prisonnier (Patrick McGoohan) est d’emblée en rébellion contre le Numéro 2 qui paraît régir le Village, alors que Truman Burbank (Jim Carrey) ne prend conscience que très graduellement qu’il est agi. N’empêche que ce genre parabolique, qui a pris naissance avec Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley (en 1932) et 1984 de George Orwell (en 1949) a depuis lors fait florès et a même dépassé le cercle naguère assez restreint de ses amateurs, avec de grands succès comme Matrix et ses suites.
The Truman show date (déjà !) de 1998 ; je ne suis pas certain que s’il était diffusé aujourd’hui auprès du jeune public il surprendrait et plairait autant. Car de quoi s’agit-il ? D’un programme de télévision planétaire qui, depuis trente ans, filme 24 heures sur 24 la vie simple, banale et gentille d’un brave garçon qui est le seul à ignorer que la foule de ses concitoyens, de ses collègues, de ses amis, que sa femme, même, n’est là, ne sont là que pour donner plus de piquant à sa quotidienneté retransmise…
Il y a longtemps que l’on sait que l’Homme de la rue porte plus d’intérêt sournois et un peu vicelard à ce qui se passe chez son propre voisin plutôt que chez des individus que le talent, la fortune ou la beauté a placé très au delà de ses propres limites. Le succès incroyable des séries de télé-réalité et des émissions qui tracent un portrait à ambition véridique des soucis, fantasmes, angoisses, peines diverses qui affligent tout un chacun n’a donc rien pour nous étonner. Ce goût de l’authentique, cette envie de découvrir les chagrins d’amour de sa boulangère et les vices cachés de son charcutier va de pair avec une forme d’identification à ceux qui, par la grâce de l’image diffusée, obtiennent ainsi leur quart d’heure de célébrité. Et précisément ce que je trouve de meilleur dans The Truman show, c’est le monde littéralement suspendu aux pérégrinations du héros. Un monde qui s’arrête presque de tourner parce que, à un moment donné, le type est sorti de l’écran…
Le film est très bien fait, quoique, comme d’habitude, et comme presque tous les films (quelle que soit leur durée) il compte un quart d’heure de trop. Je ne suis pas certain non plus que le grimaçant et élastique Carrey soit le choix idéal pour incarner un quidam qui aurait pu, dans un esprit plus cynique, être absolument banal. Cela dit, c’est intéressant, même si c’est tout de même assez faux-cul : car voilà qu’Hollywood, se drapant dans sa vertu, adresse un clin d’œil magistral à tous ceux qui pourraient critiquer son imperium et prend à témoin ses contempteurs.
Je l’ai souvent écrit : la plus grande force de Satan, c’est de faire croire qu’il n’existe pas.