Les parapluies de Cherbourg

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Conte de fées triste

1964. J’ai 17 ans et, si je vais beaucoup au cinéma, je n’ai jamais entendu parler de Jacques Demy, si ce n’est par mon frère cadet, bien plus amateur que moi, qui s’est émerveillé pour La baie des anges, surtout parce qu’il idolâtre Jeanne Moreau.

Mais je n’ai pas grande confiance en son jugement ; ce qui me pousse à aller voir Les parapluies de Cherbourg, c’est la curiosité : un film annoncé comme « entièrement chanté« ,  ça, c’est farce ! Et comme je suis encore largement un potache,  je vais – tout seul – au cinéma pour me moquer.

De fait, je suis surpris quand la séance commence : ce générique en plongée sur des parapluies multicolores qui passent, puis cette lumière très particulière, une façon de filmer de façon très enluminée la réalité de boutiques, d’ateliers, de gens qui se pressent pour rentrer chez eux….

Et, naturellement, la musique ; presque d’emblée, des spectateurs, autour de moi, se sont sentis mal à l’aise, ont murmuré, se sont indignés (il me semble qu’ils savaient pourtant ce qu’ils venaient voir, non ? La presse a fait un large état du caractère singulier du film) ; en tout cas, pas de rires gras, mais des gens qui se lèvent, en haussant les épaules, et qui s’en vont…

cherbourg+2-1372355051Et moi, scotché à mon siège, émerveillé par la fluidité de la musique de Michel Legrand, séduit par la beauté de Geneviève, cette Catherine Deneuve encore presque inconnue, qui a vingt et un ans, mais en paraît quatre ou cinq de moins, à qui il arrive les choses de la vie, sales, grises ou simplement banales, la séparation avec le premier amour, l’enfant non désiré, la résignation à la sagesse et l’embourgeoisement…

Pour tous les adolescents de ma génération, ce conte de fées triste a été un repère ; certes, on ne partait plus pour l’Algérie, mais, où qu’on habitât, il pleuvait toujours autant sur les déceptions des rencontres passionnées et naïves et les promenades après le cinéma étaient toujours trop courtes et les séparations trop exaltées…

L’immense qualité de Demy est d’avoir su si bien parler de la jeunesse, tant avec ce beau mélodrame nostalgique qu’avec l’éclat et la grâce sublimes des Demoiselles de Rochefort en s’appuyant sur l’artifice complet des situations, sur la magie du cinéma, sur l’enchantement de la musique…

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