Tourne, tourne, papillon…
Voilà un gentil petit film qui ne laissera pas la moindre trace dans le paysage cinématographique français de notre époque et moins encore, bien sûr, dans l’histoire du cinéma. Mais un gentil film qui se laisse voir sans déplaisir, grâce à sa durée très convenablement restreinte (95 minutes), son agréable musique, la bonne tenue de ses interprètes et surtout – surtout ! – grâce à l’extraordinaire photogénie des Cévennes, des splendides paysages où se déroule le récit. Récit d’une maigreur étique mais qui, par la grâce surprenante de la réalisatrice Caroline Vignal et de l’interprète principale Laure Calamy parvient à tenir la distance. Ou presque, ce qui n’est déjà pas mal du tout.
Il faut accepter, en bon public qu’on peut être, des prémisses un peu biaisées un peu invraisemblables. Antoinette Lapouge (Laure Calamy, donc, charmante, appétissante, attendrissante), institutrice dans la région parisienne, est l’amante exaltée de Vladimir Loubier (Benjamin Lavernhe), père d’une de ses petites élèves, Alice (Louise Vidal). Elle a prévu de passer avec son amant la semaine de vacances où l’épouse légitime se retrouvera ailleurs. C’est en tout cas ce que Vladimir lui a laissé espérer. Mais – manque de pot ! – il y a un retournement de situation et la petite famille va finalement se lancer dans une randonnée lozérienne sur les traces de Robert Louis Stevenson, immortel auteur de Dr. Jeckyll et Mr. Hyde mais aussi d’un charmant Voyage avec un âne dans les Cévennes.
Ni une, ni deux ! la jeune femme exaltée ne peut pas concevoir que cet amant qui l’émerveille et la ravage puisse passer loin d’elle la semaine qu’elle avait projetée de vivre avec lui de façon volcanique. Sur un coup de tête la voilà qui décide d’essayer de rejoindre Vladimir et sa petite famille dans un périple cévenol. Et de rejoindre l’étrange cohorte de ces marcheurs expérimentés qui parcourent de gîte en gîte ce charmant coin de France, à peu près isolé de tout, où s’installent, de plus en plus, des écologistes assez niais et extrêmement sympathiques.
C’est tout ? Ben oui, c’est tout ! Qu’est-ce que vous pouvez imaginer ? Ce n’est pas un western, il n’y a pas de Comanches ou d’Apaches sanguinaires, ce n’est pas un thriller sanglant où, surgis de vallons inquiétants, des mangeurs de chair humaine viendraient découper leur bifteck, ce n’est pas un lourd plaidoyer politique où les forcément pervers Pouvoirs publics dissimuleraient dans une vallée perdue le centre de production d’un virus maléfique. C’est simplement une jeune gourde qui se retrouve affublée d’un âne appelé Patrick qu’elle a bien du mal à faire obéir – et même à faire avancer – au milieu de toutes les vicissitudes et même les avanies qu’une randonneuse inexpérimentée peut rencontrer sur des terres sauvages.
Un moment on craint de s’ennuyer tant il semble qu’on a fait le tour du sujet, tant on tutoie l’obstacle qui pourrait entraîner vers un propos presque documentaire sur les routards boboïsés des Cévennes ; et en même temps, on se dit qu’il y aurait un assez joli reportage sur ces couples qui trimballent de façon tout à fait éclatante leur fierté de faire partie du Camp du Bien. La prestation de la chère Marie Rivière, une des actrices fétiche d’Éric Rohmer qui fut par ailleurs la compagne du gangster Roger Knobelspiess, toute dégoulinante d’empathie écolo est d’ailleurs particulièrement amusante. On craint de s’ennuyer, mais finalement, par une sorte de grâce miraculeuse, Caroline Vignal, au moyen de quelques péripéties à peu près cohérentes, parvient à maintenir l’attention. D’une façon tout à fait hasardeuse, improbable mais véridique, le chemin d’Antoinette croise celui de la famille de son amant Vladimir. Et la femme de Vladimir, Éléonore (Olivia Côte) n’a pas beaucoup de mal, sous les apparences, à détecter la relation de son mari et de l’institutrice de sa fille : il est vrai qu’elle a l’habitude des frasques de son lapin d’époux.
Rupture et kilomètres d’errance. Et là encore, au moment où on se dit qu’on a vraiment épuisé le sujet, capacité de la réalisatrice de remettre un peu d’essence dans le carburateur. Juste ce qu’il faut pour qu’on ne s’ennuie pas.