Grand bourgeois fortuné et rebelle, Louis Malle, seize ans après Le souffle au cœur, qui, décrivant des épisodes de son adolescence, se voulait iconoclaste, provocant, mais narquois et tendre aussi, réalise avec beaucoup plus de gravité et de hauteur Au revoir les enfants, qui est un modèle de pudeur et de tristesse.
D’autant que la dénonciation de l’enfant juif dissimulé dans un collège religieux, par le pauvre type douloureux Joseph (à qui on a trouvé des ressemblances avec Lucien Lacombe) et sa conséquence irrémédiable n’emplit pas totalement l’espace narratif et évite avant tout de sombrer dans le pathétique (si compréhensible que ce pathétique pourrait être).
Il y a aussi, et il y a beaucoup, un film sur l’espace enchanté de l’adolescence : les brimades sur le nouveau, les peignées dans la cour de récréation, les cigarettes fumées en cachette, les lits dressés en portefeuille, les photos de filles qu’on se montre, le pipi au lit, tout cela fait partie de la geste des collèges de garçons, qui va de Zéro de conduite aux Zozos en passant par Les disparus de Saint Agil et La cage aux rossignols.
Il y a l’histoire de l’amitié qui naît entre deux gamins qui se trouvent d’abord assez antipathiques, qui se méfient l’un de l’autre, qui s’agacent, se cherchent, s’apprécient et sont tout prêts de faire naître une de ces amitiés essentielles, doriques qui construisent une destinée, jusqu’à ce que l’horreur la coupe net.
Il y a la beauté et le courage de ce collège de Carmes d’Avon, près de Fontainebleau, qui existe toujours et dont l’adresse, désormais, est rue du Père Jacques. Et le père Jacques, c’est le Père Jean du film, le supérieur (Philippe Morier-Genoud), qui fut effectivement déporté à Mauthausen et mourut une semaine après sa libération ; ce prêtre brûlant de foi, et d’exigence, qui demande que l’on prie pour les victimes, mais aussi pour les bourreaux ; et ce qui est magnifique, c’est cette complicité active de tout le collège, moines et laïcs mêlés, à la seule horrible exception de la religieuse infirmière qui, bêlante de trouille, livre d’un seul regard le garçon dissimulé sous les draps, infime protection qui aurait peut-être suffi.
Dans le froid bleui glaçant de ce matin de janvier 44, trois enfants et un Juste partent vers leur mort.
Les lumières de la salle de cinéma se rallument. Les spectateurs se raclent la gorge pour se donner l’occasion de tirer leur mouchoir. Chacun s’aperçoit, en plus, que son voisin a une poussière dans l’œil.