Le grand Jules.
Aventure à Paris est un brave petit film, nullement désagréable, mais qui n’a pas d’autre intérêt que de montrer dans sa splendeur la grandiose outrance et l’absolue séduction de Jules Berry, qui occupe l’écran en permanence passant comme un coup de vent, bluffant tous les hommes et charmant toutes les femmes. Puis deux excellents comédiens en faire-valoir : la rondeur un peu soufflante et embarrassée de Lucien Baroux et le ravissant minois de Danièle Parola, que j’avais déjà remarquée dans Sous les yeux d’Occident du même réalisateur Marc Allégret et du même producteur André Daven (d’ailleurs le mari de la belle qui abandonna très vite, au demeurant, le cinéma).
Et Arletty, va-t-on me dire, dont le nom figure en haut de l’affiche ? Eh bien, voilà une grande duperie ! D’ailleurs, dans le générique filmé, l’actrice n’apparaît qu’en deuxième rideau, derrière les trois acteurs précités. De fait, elle n’arrive que dans le dernier tiers du film, presque en guest-star et, dût ma fidèle adulation pour elle en souffrir (quand est-ce qu’on va enfin se décider à la recueillir au Panthéon ?), elle est largement éclipsée par Danielle Parola, il faut bien le dire.
Si Aventure à Paris, au titre assez passe-partout et peu satisfaisant, est adapté d’une pièce de théâtre qui eut du succès, pour une fois ça ne se voit pas trop : quelques agréables plongées dans le Paris noirci d’avant André Malraux, la Concorde, la place Vendôme (pour faire un clin d’œil à la grande Elsa Schiaparelli qui a habillé les actrices), l’avenue Foch, mais aussi de beaux appartements bourgeois et des boîtes de nuit élégantes où – ô merveille ! – les femmes portent de ravissantes robes du soir et les hommes des habits. C’est là qu’on voit combien les comportements raffinés de notre civilisation se sont effondrés en moins d’un siècle.
Venons en un peu à l’intrigue qui n’a pas, à dire vrai, beaucoup d’intérêt : Michel Levasseur (Jules Berry) est un filou délicieux désargenté qui plaît aux femmes dont aucune ne peut lui résister ; il devient l’ami du richissime industriel (gaufrettes et champagne) Raymond Sauvaget (Lucien Baroux) qui, au contraire de Levasseur, est absolument incapable de séduire une femme autrement qu’en exhibant son carnet de chèques : il va donc demander au séducteur d’être en quelque sorte son coach (comme on dirait aujourd’hui où, paraît-il, ce joli métier existe effectivement), puis son truchement pour lui faire rencontrer une jeune femme agréable.
Dès que les deux hommes font la connaissance de Lucienne Aubier (Danièle Parola), antiquaire quai Malaquais, les classiques ressorts du vaudeville se mettent en place, d’autant qu’arrive à ce moment là de la reculée Carcassonne la cousine de Lucienne, qui, ayant quelques ambitions de briller sur les planches, se fait appeler Rose de Saint-Leu (Arletty). Il y a un méli-mélo de situations ambiguës et théâtreuses à souhait qui finiront, naturellement par aboutir, dans la meilleure tradition du boulevard, à la réunion de deux couples, Michel et Lucienne, Raymond et Rose, pour la grande satisfaction du public.
C’est très gentil et ça aurait pu l’être bien davantage si on avait inséré un peu plus de ces numéros de music-hall qui, en ces temps reculés permettaient à la pudeur publique de ne pas trop s’effaroucher de voir une poitrine dénudée sous prétexte artistique ou qui donnaient à l’excellent orchestre de Ray Ventura l’occasion d’interpréter la jolie mélodie Laissez-vous faire, et si Vincent Scotto, auteur de la musique, n’avait pas fait le service minimum. Mais c’est agréable ; on est à l’automne 1936, on est déjà loin des grèves du printemps, plus loin encore de l’été 1939…